Carnet de notes n°11 appartenant à Jacques Meiffret du 29 janvier 1918 au 7 mai 1918
29/1/1918 - 7/5/1918 (date du document)
29 janvier 1918. Royaumeix (Meurthe-et-Moselle). Et toujours du brouillard, avec ça il gèle assez dur. Très peu d'éclaircie de soleil. Par suite du départ en détachements divers, il n'y a plus que 5 camions ici qui roulent et dont j'ai à m'occuper. Le ravitaillement en essence et ingrédients reste aussi à ma charge.
30 janvier 1918. Royaumeix (Meurthe-et-Moselle). Du brouillard et plus que jamais, le soleil en effet ne se montre pas et il ne dégèle pas de la journée, ainsi que cela se produisait les jours précédents. Les lettres me parviennent mieux et sont de dates plus récentes, ce qui fait grand plaisir, il en est de même côté de ma famille.
31 janvier 1918. Royaumeix (Meurthe-et-Moselle). Même temps de brouillard et de froid. Véritable temps "à cafard". Oui, ce temps gris est triste dans ce petit village où, dès la nuit venue, tout rentre dans l'ombre. Et, malgré tout, je suis à souhaiter de n'être jamais plus mal qu'ici.
1er février 1918. Royaumeix (Meurthe-et-Moselle). Je roule toute la matinée avec les camions. La campagne offre un coup d'oeil pittoresque avec ses arbres aux branches surchargées de givre. Ce dernier est en si grande quantité sur les fils téléphoniques, qu'un maints endroits le poids a fait casser ces fils. Le brouillart demeure t enace et il fait toujours très froid.
2 février 1918. Royaumeix (Meurthe-et-Moselle). Toujours le même temps. Le sol glacé permet aux camions de roulet et leur travail s'effectue normalement. Le tour nouveaude permissions est commencé ce jour (j'ai dit, je pense, que ces permissions sont accordées dans la zone des armées, à raison de 3 permissions par an et de 10 jours chaque, à prendre dans chaque période de 4 mois). Un gradé part également et, par suite du départ d'un maréchal des logis, mon tour de départ va se trouver très rapproché. Or, ayant le désir de trouver mes enfants à la maison, je manifeste le désir de ne partir qu'au moment des vacances de Pâques, c'est-à-dire vers fin mars prochain. La question ne peut être résolue sur le champ.
3 février 1918. Royaumeix (Meurthe-et-Moselle). Toujours le même temps. Je viens, le matin, sur un camion à Toul pour y prendre de l'essence. Je ne saurais trop dire combien est curieuse la campagne avec ses arbres givrés, c'est d'un effet triste, mais heureux. Après le déjeuner (nous ne sommes plus qu'à 3 membres à la popote), je vais ravitailler deux détachements de la section, Saizerais et Dieulouard (vers Pont-à-Mousson). Je conduis moi-même la camionnette. Le soleil apparaît un peu et, aussitôt, la température se radoucit. Je rentre à Royaumeix à la nuit où, après les ordres donnés pour le lendemain, je dîne, quelques parties de cartes, ma correspondance ensuite et au lit. Tel est mon dimanche, moins monotone que le précédent à cause des occupations que j'ai eues.
4 février 1918. Royaumeix (Meurthe-et-Moselle). Au coursde la nuit, a régné un bombardement qui a dû être violent et soutenu. La maison, par instants, en tremblait ! La température est douce. Il dégèle. Je viens, comme la veille, à Toul pour le ravitaillement en essence. Je déambule quelquesi nstants dans les rues de la ville et, à midi, nous rejoignons Royaumeix. Rencontré des soldats italiens, des inaptes paraît-il, venus ici pour l'exécution de travaux d'arrière-front. Avec les troupes américaines, quelques soldats anglais aussi, cela fait ici un mélange des troupes alliées.
5 février 1918. Royaumeix (Meurthe-et-Moselle). Il a gelé très fortement dans la nuit. Quel climat bizarre ! C'est du dégel, du regel et vice-versa. Aussi, suis-je victime de ces sauts si brusques et j'ai attrapé un rhume de cerveau qui se pose en peu là !
6 février 1918. Royaumeix (Meurthe-et-Moselle). Temps brumeux et doux. Le rhume me tient bien. Vais-je ravoir ce malaise dont j'ai souffert au cours de l'hiver précédent ? Je voudrais bien connaître le moyen d'enrayer ce mal. J'assure toutefois mon service. Par suite de nouveaux changements, il y a ici la moitié des camions de la section qui roulent.
7 février 1918. Royaumeix (Meurthe-et-Moselle). Je suis très fortement enrhumé et ai des douleurs de tête très violentes. Il fait un vent très fort, vent du midi, dit-on. Le soir, je me mets au lit avec de la fièvre, frissons, sueur, tête en feu. Toute la nuit j'éprouve ces malaises qui, naturellement, m'empêchent de dormir. Suis levé, comme à l'ordinaire, mais je vais à la visite du major. Quantité de malades sont rassemblés dans une pièce où, très sommairement, le médecin nous pose des questions et ausculte, suivant les cas. Je lui demande de fournir le moyen de calmer mes douleurs de tête. Il me fait remettre des cachets d'aspirine. Quant au rhume, me dit-il, il faut attendre qu'il s'en aille. C'est ce que je ferai, j'attendrai, telle est ma réponse ! Quelle mauvaise journée. Je suis pris de violentes coliques. Aussi, je me mets à la diète et mange peu aux repas. Malgré mon mal, j'assume le service.
8 février 1918. Royaumeix (Meurthe-et-Moselle). J'ai, ma foi, assez bien dormi et si je suis encore bien enrhumé, du moins puis-je dire que ça va mieux. Le temps est assez doux. Je quitte peu le cantonnement, mangeant avec beaucoup de réserve. Les douleurs de tête sont moins violentes. Dans l'après-midi, a lieu une prise d'armes pour remise de décorations. Il y a là une compagnie avec drapeau du 151ème d'infanterie, musique, c'est un général qui remet ces décorations à des officiers, sous officiers et soldats et avec le cérémonial d'usage. Ensuite, c'est une aubade chez le général où la musique joue quelques morceaux. A signaler, la violence de la canonnade qui, commencée avant le jour, a duré très longtemps.
9 février 1918. Royaumeix (Meurthe-et-Moselle). Ouf ! j'ai fort mal à la tête. Si le rhume s'est déclaré spontanément, il est plus long à me quitter. Je sors peu pour m'en débarasser au plus vite, malheureusement pour cela les soins me manquent et je dois mettre en pratique la formule du médecin : attendre "que le thume s'en aille" ! Temps brumeux le matin avec éclaircies de soleil l'après-midi.
10 février 1918. Royaumeix (Meurhte-et-Moselle). Mon état est stationnaire. Les camions ne roulant pas, j'en profite pour demeurer davantae au bureau. Le temps est assez beau. Dans l'après-midi, je fais une petite promenade pédestre dans la campagne. Quel dimanche monotone !! Nous ne restons que deux à la popote. Pas gai du tout.
11 février 1918. Royaumeix (Meurthe-et-Moselle). Temps assez beau. Dans la journée, les avions opèrent et on en voit dans tous les sens et même de ceux qu'on ne désire point voir... des boches. A la popote, il y a un invité : un officier, ami du patron et notre déjeuner est copieux, de même que arrosé de vins capiteux. Tout cela fort contraire à mon régime léger, aussi l'après-midi, quel mal de tête ! Vite, un cachet d'aspirine qui me calme un peu et le soir je dîne très frugalement. Ah, cette grippe, comme c'est assomant !
12 février 1918. Royaumeix (Meurthe-et-Moselle). Brouillard, je sors sur un camion pour l'approvisionnement d'essence. Ca ne va pas plus mal, mais le mieux est léger. Beau temps et soleil réchauffant dans la journée. Depuis hier, une violente canonnade s'entend, un coup de mains des nôtres... dit-on.
13 février 1918. Royaumeix (Meurthe-et-Moselle). La nuit très étoilée, mais sans lune est suffisament claire pour permettre aux avions de bombardement d'opérer presque en toute tanquilité. Les nôtres vont chez l'ennemi et ceux de ce dernier viennent... dans nos lignes. De Royaumeix l'on aperçoit l'éclatement des bombes qui produit un foyer de lumière important et rapide. J'apprends que les boches jetèrent des bombes sur Nancy. Le temps est pluvieux et froid.
14 février 1918. Royaumeix (Meurthe-et-Moselle). Je me lève toujours assez tard et viens au bureau aussitôt, évitant de rouler avec les voitures, afin de guérir cette maudite grippe. Le temps est pluvieux et froid aussi. Les journées sont longues à demeurer ainsi dans l'intérieur. Le soir, après dîner, quelques parties de manille nous font passer quelques instants.
15 février 1918. Royaumeix (Meurthe-et-Moselle). Changement de température. Au cours de la nuit il a gelé très fort et, malgré le temps ensoleillé dans la journée, il fait tout de même très froid. Beaucoup de mouvement dans les airs, c'est-à-dire que les avions se pourchassent, tirs continus de l'artillerie contre avions. je viens à une corvée d'essence. Mon rhume va beaucoup mieux. Néanmoins, je prends toutes précautions afin d'éviter de reprendre froid. Un nouveau brigadier arrive à la section, en remplacement du maréchal des logis Filliat, passé au service intérieur. Dans la soirée, alors que nous faisons une partie de cartes, nous entendons des avions passer et des bombes éclater non loin du village. Le ciel est clair et la lune nouvelle permet aux oiseaux nocturnes des incursions faciles.
16 février 1918. Royaumeix (Meurthe-et-Moselle). Vent d'Est glacial et, dans la journée, malgré le soleil, il ne dégèle pas. Les moteurs sont partis le matin, avec bien des difficultés. Dans l'après-midi, nous apprenons à la section que dans le détachement à Dieulouard se trouve un conducteur blessé par l'éclatement de nombreuses bombes lancées dans la nuit sur ce village par des avions boches. Nous n'avons que la laconique nouvelle, sans détails sur les circonstances de l'accident.
17 février 1918. Royaumeix (Meurthe-et-Moselle). Dans la nuit, à maintes reprises, j'entends les avions passer et des bombes éclater assez loin du village, je crois. Je reste au cantonnement et mon lieutenant s'en va à Dieulouard prendre des nouvelles du blessé. Il en revient pour nous dire que notre jeune camarade (il avait 20 ans, auxiliaire) est mort dans la nuit, à la suite de ses blessures, qu'il a eues alors qu'il se portait au secours de blessés par des bombes, sur un retour des avions, lui-même était atteint, blessé, hélas ! mortellement. Le froid et le vent demeurent glacials.
18 février 1918. Royaumeix (Meurthe-et-Moselle). Dans la soirée, la veille, des avions boches passent sur Royaumeix. Ils sont éloignés par le tir d'autos canons installés sur les routes aux abords du village. Le temps est beau, sans vent, toutefois la température reste glaciale. Je roule un peu sur les camions et j'y ai bigrement froid. Deux coducteurs de la classe 92 sont envoyés dans le service intérieur, je me trouve donc maintenant dans les 4 plus anciennes classes maintenues dans la zone des armées.
19 février 1918. Royaumeix (Meurthe-et-Moselle). Au cours de la nuit et à diverses reprises, j'entends des avions passer. Est-ce des nôtres ou des boches, je l'ignore. Beau temps, mais toujours froid. Me revoici d'aplomb. Activité très grande de l'aviation. Des boches passent qur nos têtes. Les canons spéciaux tirent sur eux et les éloignent. Le brigadier Lanoire rentre de permission et, avec celui qui était provisoirement à Dieulouard, cela porte à quatre le nombre des gradés ici et, avec l'officier, cinq membres à notre popote qui se trouve ainsi plus animée et partout plus gaie.
20 février 1918. Royaumeix (Meurthe-et-Moselle). Dans la soirée de la veille, des avions boches passant sur notre village sont chassés par l'artillerie contre avions. Très beau temps, un peu moins froid. Trois avions ennemis, dans la matinée, explorent tranquillement la région. Ils sont bombardés, mais sans être atteints.
21 février 1918. Royaumeix (Meurthe-et-Moselle). Changement de décor ! Il a plu au cours de la nuit et le temps demeure pluvieux. L'après-midi je pars, conduisant la camionnette pour visiter les divers détahements de la section et les ravitailler. C'est une très longue course dont je rentre un peu fatigué, mais satisfait car j'ai visité une région fort jolie. Voici l'itinéraire suivi : Manoncourt, Tremblecourt, Rosières, arrêt à Saizerais, puis à Liverdun. Là, le coup d'oeil dominant la Moselle est fort pittoresque et s'étend assez loin. Au sortir de Liverdun, nous traversons la Moselle pour longer le canal jusqu'à Frouard. De nouveau, nous traversons le canal venant à Pompey. Partout l'on voit d'importantes mines où règne une grande activité. Et cela, malgré de fréquents bombardements aériens dont nombre de maisons en portent les traces. Plus de carreaux de vitre, quelques maisons entièrement détruites. En nous approchant de Dieulouard, nous croisons quantité de voitures qui emportent le déménagement de civils évacuant ce pays. Cet exode offre un coup d'oeil pénible. Arrêt à Dieulouard. Le détachement de ma section est, depuis le bombardement au dehors du pays, qui a éprouvé des dégâts énormes. Par endroits, des patés de maisons ont été pulvérisés par l'éclatement de grosses bombes ou obus d'aéros. Des camions automobiles ont été incendiés. Quelle destruction ! C'est affreux. Malgré tout, dans le village règne de l'animation qui cesse à la nuit complètement car il est interdit de coucher dans les maisons et ceux qui sont encore là, tant civils que soldats, doivent aller coucher dans les environs, abris ou bois. Une éclaircie de soleil me permet de voir Pont-à-Mousson et la crête de Mousson qui domine la région. Nous continuons la tournée par Griscourt, Gézoncourt, dernier arrêt au moulin de Rogéville que nous traversons pour revenir à Royaumeix.
22 février 1918. Royaumeix (Meurthe-et-Moselle). La nuit pluvieuse n'a point permis aux avions de venir sur notre village, où l'on dort tranquilles. Journée calme passée au cantonnement.
23 février 1918. Royaumeix (Meurthe-et-Moselle). Nouveau changement de la température. Il y a un brouillard qui se dissipe en partie dans la journée. Jusqu'ici, j'avais espéré qu'une solution favorable interviendrait pour ma permission que je ne voulais prendre qu'à Pâques. Ma femme, mes enfants en étaient prévenus. Et voilà qu'en haut lieu le départ du gradé suivant n'a pas été accordé, mon titre de permission parvient à la section et je vais donc partir. J'en suis contrarié, mais ne puis que m'incliner !
24 février 1918. Royaumeix (Meurthe-et-Moselle). Dimanche, je fais faire une corvée d'essence, puis je passe tout mon service au brigadier qui va me remplacer au cours de la permission. Je dois partir le lendemain. Journée de brouillard et de brume, humide, point froide. Dans l'après-midi et la soirée, nous jouons de nombreuses parties de cartes à la popote, afin de passer le temps.
25 février 1918. Royaumeix (Meurthe-et-Moselle). Départ en permission. La matinée, je fais mes préparatifs de départ. Après le déjeuner, je quitte mes camarades et, par la voiture de liaison, je suis conduit à Toul où je dois embarquer. Il pleut et ça ne fait pas chaud. Bien que je regrette n'avoir pas obtenu de partir à Pâques, je suis néanmoins satisfait de partir pour revoir les miens et jouir quelques jours d'une température plus clémente. 4h, me voici à la gare, dont les quais sont garnis de poilus en partance. Mon train est en retard d'une heure. CHacun s'impatiente sur le quai. Enfin, à 6h, notre train démarre. La nuit arrive, mais le ciel s'éclaircit et la lune pleine brille d'un bel éclat. Je dîne pendant que le train roule. 7h, le train s'arrête et est refoulé dans une voie de garage, la machine dételée. Inquiet, je demande des explications et il m'est répondu que nous ne repartons pas jusqu'à 1h du matin ! Il gèle, je sors pour battre la semelle. Les heures me paraissent longues et combien !
26 février 1918. En route pour St Raphaël. Quelle nuit désagréable ! Le froid m'a empêché de dormir. Heureusement, avec le jour, apparaît un bon soleil réchauffant. Passant par Neufchâteau nous venons à la gare régulatrice de Is-sur-Tille, déjeuner, nous filons vers Dijon pour prendre la grande ligne Paris - Lyon. 6h, arrivée à Lyon. Toujours grande affluence de voyageurs à cette gare. Je vais à la cantine dîner, puis à 8h je prends le train de permissionnaires pour Marseille. Bon wagon de 2ème classe chauffé, la nuit sera moins dure que la précédente.
27 février 1918. Arrivée à St Raphaël. A 3h du matin j'arrive à Marseille où je constate, avec plaisir, que la température est de beaucoup plus douce. Mon train ne repart que dans 2 heures. J'en profite pour aller à une borne fontaine dans la gare, me débarbouiller. Je prends place dans le train civil, archi bondé de voyageurs, train omnibus donc à marche très lente. J'espère néanmoins arriver dans la journée. Au jour, j'admire la côte. Le soleil est chaud. La marche du train est normale. Je n'éprouverai donc pas le grand retard de ma dernière permission. 1 heure, le train stoppe à St Raphaël et, sur le quai de la gare, je trouve m'y attendant ma femme et mon dernier enfant. Effusion, grande joie réciproque. Je suis chez moi.
28 février - 1er au 11 mars. En permission. Permission de détente qui ne fût pas très gaie. Ma femme, qui allait bien dès mon arrivée, prend froid au cours du déplacement par voie ferrée que nous faisons ensemble pour aller vois nos deux aînés à leur pension à Draguignan, d'autre part ma mère est alitée, prise d'une très grande faiblesse due au surmenage, enfin lesp remiers jours le temps XXXX, il fait froid et il pleut. Quoi qu'il en soit, ma permission arrive à expiration et je m'apprête à repartir rejoindre mon poste.
12 mars 1918. Retour de permission. Le train qui doit m'emporter vers Marseille a 5 heures de retard. Désireux de ne pas rater le train de permissionnaires au départ de cette dernière ville, je viens à Fréjus et sollicite l'automobile du président du tribunal de commerce pour me conduite aux Arcs où se forme un train. Gracieusement, M. Merpuerd accepte, m'offre même à déjeuner, son chauffeur me conduit dont à la gare des Arcs et je monte dans le train indiqué. 7h, le train stoppe à Toulon et il est aussitôt placé dans une voie de garage. Grande déception pour moi qui avais espéré rattraper mon retard. 10 heures, le train en retard venant de Nice arrive. Il est bondé de voyageurs, je pénètre avec difficultés dans le couloir d'une voiture de 2ème classe où je me tiens debout jusqu'à Marseille.
13 mars 1918. Retour de permission. 2h du matin, le train rentre en gare de Marseille. Des gendarmes font descendre les civils. Le train militaire continue vers Lyon où nous arrivons vers midi. Le train de permissionnaires qui précède le nôtre a filé et des employés conseillent à tous les permissionnaires de descendre soit à Châlons, soit à Dijon où il nous sera possible de le rejoindre. Mais pas plus à Châlons qu'à Dijon nous retrouvons ce train-là et, à cette dernière gare, je descends. Je ne pourrai continuer ma route que le lendemain. Il est 3 heures de l'après-midi. Je vais à la cantine militaire, fort bien aménagée dans d'immenses entrepôts près la gare. J'y dîne et me mets en quête de trouver une chambre pour la nuit. Par la pensée, je revis l'époque, déjà bien lointaine, où avec ma compagnie de génie je quittais Nice pour débarquer à cette même gare de Dijon. Dans une maison particulière, je trouve une chambre où je viens "en écraser".
14 mars 1918. Retour de permission. Comme je dois partir à 5h du matin, j'ai assez mal dormi par crainte de rater le train. 5h, je quitte Dijon par train civil et omnibus et je passe ainsi à la gare régulatrice de Is-sur-Ville, pour venir descendre à Langres vers onze heures. A 5h du soir, un train en partance de cette gare doit me ramener jusqu'à Toul. Quel voyage affreux, lent et assomant ! Avec deux permissionsaires de ma région, je visite Langres, petite ville située sur un point culminant où la vue s'étend au loin. Beaucoup d'américains. C'est le grand quartier des soldats américains, aussi en voit-on partout. Le temps est beau ce qui nous fait prendre en patience notre stationnement forcé dans l'endroit. 5h, nous revoici dans le train civil et omnibus S.V.P. ! La nuit arrive vite, des voyageurs descendent, d'autres montent. Voici Neufchâteau, encore quelques heures et enfin le train stoppe en gare de Toul. Il est 11 h 1/2. Je constate aussitôt le changement de température. Il fait frais.
15 mars 1918. Arrivé à Royaumeix (Meurthe-et-Moselle). Avec un jeune fantassin de mon cantonnement, nous décidons de ne pas attendre le jour et de rentrer à pied à Royaumeix. Après avoir bu un quart de café à la cantine militaire (inovation excellente que ces cantines que l'on trouve un peu partout dans les grandes gares), nous voici sur la route de Toul à Verdun. Après 2 h 1/4 de marche, par une nuit claire, nous arrivons à Royaumeix. Je frappe aux volets de la maison où je couche. Le propriétaire m'ouvre et je suis bien heureux de pouvoir reposer ainsi dans un bon lit. J'avoue humblement être un peu fatigué. Debout vers 8h. APrès toilette faire, je viens au bureau de la section. Le lieutenant commandant s'y trouve. J'apprends quelques changements dans le personnel et les gradés (un maréchal des logis affecté depuis la veille à la 91, ainsi qu'un brigadier. Lanoire parti comme élève officier, Garrigues nommé brigadier par ailleurs). J'ai, paraît-il été réclamé pour garder un dépôt d'essence, mais le patron s'est opposé à mon départ. Je reprends donc la place que j'occupais avant mon départ en permission. A noter l'accueil cordial et bienveillant que me fait l'officier commandant
16 mars 1918. Royaumeix (Meurthe-et-Moselle). J'ai bien dormi. Toute fatigue du voyage a disparu. Le temps est beau. Il fait chaud et cette température me paraît anormale. Le camarade qui me remplaçait me repasse le service.
17 mars 1918. Royaumeix (Meurthe-et-Moselle). Le même beau temps continue. Les camions accomplissent toujours le même travail et sur des itinéraires très connus d'eux, aussi s'en vont-ils seuls.
18 mars 1918. Royaumeix (Meurthe-et-Moselle). Grande activité de l'aviation. 3 appareils boches survolent la région. Je me trouve, la matinée, à la gare de Ménil-la-Tour pour une corvée d'essence et les observateurs de ces avions doivent se rendre compte du grand mouvement qui règne à l'endroit. Chacun de dire "gare aux avions la nuit prochaine".
19 mars 1918. Royaumeix (Meurthe-et-Moselle). Le temps a bien changé et ceci n'est pas pour me surprendre. Temps gris, pluvieux et un peu froid. Dans l'après-midi, je viens en camionnette à Toul pour assurer "la liaison" avec le groupe routier, c'est comme une promenade. Le soir, j'ai toujours les mêmes occupations, c'est-à-dire relevé de travail, ordres pour le lendemain, livraison d'essence, etc. Et le soir, après le dîner à la popote, partie de cartes qui nous fait passer une heure. Vers 9h, je fais ma correspondance journalière et à 10h je suis au lit. Contrairement aux prévisions, les avions ne sont pas venus.
20 mars 1918. Royaumeix (Meurthe-et-Moselle). Il pleut. La nuit noire n'a pas permis aux oiseaux nocturnes de nous rendre visite. Les camions roulent dans la boue comme la veille je viens à Toul en camionette. La journée se passe sensiblement la même que la précédente.
21 mars 1918. Royaumeix (Meurthe-et-Moselle). Le ciel se rassérène, le temps est brumeux, sans pluie. Je viens à nouveau à Toul, fais quelques achats dans les magasins de la ville, tous très fréquentés par une clientèle militaire, tant française qu'américaine.
22 mars 1918. Royaumeix (Meurthe-et-Moselle). Temps brumeux, frais le matin. Je roule, le matin, pour une corvée d'essence, une partie de l'après-midi avec les camions, après quoi je viens travailler au bureau de la section. Là, je m'y trouve avec un autre brigadier, lorsque arrive le chef de bataillon Lefrançois qui commande le service automobile de la 1ère armée à laquelle la section appartient. Cet officier supérieur me pose de nombreuses questions touchant au service, administration de la section. Je lui réponds de mon mieux et, après quelques instants, il nous quitte sans rien dire. Est-il satisfait ? Le je suppose.
23 mars 1918. Royaumeix (Meurthe-et-Moselle). Le beau temps est revenu, c'est le printemps qui commence. Encore un hiver de passé, sera-ce le dernier ? Il est demandé à notre officier s'il désire passer dans le service intérieur. Comme il accepte et qu'à la 91 nous sommes susceptibles de le perdre -ce que chacun regrettera- je lui demande de me proposer pour l'avancement, c'est-à-dire à être proposé comme sous officier, étant donné que ce genre de proposition se fait chaque mois et mon officier accepte. Si je prends cette détermination, c'est que depuis que je suis brigadier, j'ai constaté que le travail fourni est absolument le même que celui des sous officiers, dont la situation et la solde ne sont point les mêmes. D'autre part, envisageant mon envoi, soit dans le service d'arrière ou même à l'intérieur, je serais désireux de partir comme sous officier puisque, je le répète, le rôle que je remplis dans la section est celui de ce gradé. Et, par ailleurs, m'apporterait plus de douceurs à ma vie. Je crois ne pas me montrer trop ambitieux avec cette prétention, vu la durée de mon temps de services dans le plus modeste des rôles à l'armée ! Je viens à Toul pour la liaison. La nuit est claire. AUssi entend-on le va-et-vient des avions opérant des missions de bombardement. Aucun boche ne vient jeter dans ma région sa "camelote" et nous dormons tranquilles. 24 mars 1918. Royaumeix (Meurthe-et-Moselle). Dimanche. Quelques conducteurs s'en vont à Toul où a lieu une prise d'armes pour remise de décorations à des hommes de notre service. Arrive à la section un maréchal des logis pour faire stage. Il est élève officier. Nous avons ainsi un membre de plus à la popote. D'autre part, un invité nous rend visite, notre ancien camarade : le brigadier Lauroin, aussi élève officier à Toul. Il fait beau. Après un déjeuner fort appréciable ma foi, nous allons accomplir une promenade pédestre dans les champs, puis je conduis la camionnette pour une course à Toul. Des bruits de départ circulent. Allons-nous décamper ? Dans la soirée, nouvelle activité des avions français allant chez les boches où ils sont, par endroits, reçus par des obus incendiaires qui, vus de loin, font ressembler à un feu d'artifice. Curieux aussi à observer les signaux que se font nos appareils avec des projecteurs postés sur la route.
25 mars 1918. Royaumeix (Meurthe-et-Moselle). Le temps change. Il est moins beau et la température se rafraîchit. Nous sommes sur les dents, l'armée à laquelle la section est rattachée quitte la région et nous sommes anxieux de connaître notre sort futur.
26 mars 1918. Royaumeix (Meurthe-et-Moselle). Il fait froid. Le temps brumeux a fait cesser l'activité des avions. Le maréchal des logis, venu à la section il y a 2 jours, nous quitte pour passer à une T.M. Je viens en camionnette à Toul. Le froid est vif, il neige, mais très légèrement. L'après-midi, corvée d'essence avec un camion. Le soir, malgré le ciel clair, aucun avion n'est entendu. Depuis quelques jours, les journaux commentent une grande bataille que les boches ont engagée contre l'armée anglaise dans la Somme. Les pertes des 2 côtés seraient, dit-on, très grandes.
27 mars 1918. Royaumeix (Meurthe-et-Moselle). Bien que le soleil se montre, il fait froid. Je vais en camionnette l'après-midi pour ravitailler les détachements de la section. Je passe sous silence l'itinéraire, déjà expliqué précédemment. A mon retour, vers 6h du soir, j'apprends que la section quitte Royaumeix pour venir à Toul, dans le groupe routier qui suit la 1ère armée dans le déplacement en cours et, sans doute, dans la direction où les boches ont attaqué si furieusement. Voici un long déménagement en perspective !
28 mars 1918. Départ de Royaumeix pour Toul. Grand remue-ménage ! les camions détachés sont rappelés dans la nuit et, dès la première heure, chacun fait ses préparatifs de départ. Je suis très occupé toute la matinée. Après le déjeuner, tous les camions de la section se rangent à la sortie du pays et forment un convoi. Le temps est beau, mais froid. XXXX un coup de sifflet de notre officier et le convoi s'ébranle vers Toul où nous devons cantonner 2 jours. Il n'a pas fallu un temps bien long pour parcourir les 13 km séparant Royaumeix de Toul. Nous arrivons tout blancs de poussière et, comme en décembre dernier, nous allons coucher caserne Thouvenat. Dîner hâtif et sans XXXX, je monte mon petit lit. Chacun s'endort rapidement, sauf moi qui depuis quelques jours dors très peu, sans savoir pourquoi.
29 mars 1918. Toul. Debout à 7h. Les conducteurs doivent nettoyer à fond leurs camions. Ordre est donné de charger du matériel de parc. Il pleut la plus grande partie de la journée et ce temps maussade n'est pas pour apporter une note agréable à notre déplacement. Dans l'après-midi, brusquement, un ordre prévient notre lieutenant chef de section. Il est appelé d'urgence au commandement d'une section sanitaire et notre chef part presque aussitôt. Nous lui étions sympathiques autant qu'il nous l'était à nous-mêmes et les regrets sont réciproques... mais nous sommes soldats et l'officier, comme nous, doit obéir aux ordres donnés. Que de changements à la 91 ! que nous réserve le temps à venir ?
30 mars 1918. Toul. Dernière journée employée à faire des préparatifs du départ. Le matin, je viens en voiture à Royaumeix pour y prendre linge ou divers oubliés par nous. L'après-midi, revue par l'officier chef de groupe qui fait l'interim du commandement de la section. Il pleut toujours. Néanmoins, les préparatifs se terminent.
31 mars 1918. Départ de la section vers Meaux. 5h, tout le monde se lève afin de plier lits et bagages divers et les placer à l'abri sur les camions, car la pluie continue. 8h, les quatre sections formant le groupe routier sont rangées dans la cour de la caserne et, à la file, tous les camions démarrent. Je ne conterai pas tous nos incidents de route qui furent très nombreux. Placé sur le camion de tête, je dois régler la marche du convoi, parfois rapide, quelquefois très lente en raison de l'encombrement des routes par des convois doublés ou croisés, ou la traversée des villages. Voici les noms d'endroits les plus importants traversés et qui permettent, en suivant la carte, d'y voir l'itinéraire : Void, Ligny-en-Barrois, St-Dizier, Perthes, notre but de la journée. J'ai eu un peu froid. Il a plu. Dans l'après-midi le temps était beau et partout nous pouvions voir des promeneurs endimanchés car c'est aujourd'hui grande fête pour .... les civils : Pâques. Je vais coucher dans un bon lit réquisitionné. (Distance parcourue 100 km environ).
1er avril 1918. En route vers Meaux. Réveil à 4h. Il est nuit encore et tous les moteurs tournent. Le convoi démarre seulement à 6h. L'étape est, paraît-il, beaucoup plus longue que la précédente. Le temps est brumeux, sans pluie, la route sera plus agréable. Nous traversons Vitry-le-François. Après quoi, le convoi est longuement arrêté, la route obstruée par des files de camions qui nous précèdent. Que de voitures, quel déplacement de matériel et d'hommes ! C'est fantastique. A la grande halte (1h et 1/2 de temps), nous mangeons de bon appétit la soupe fumante qui a cuit dans la remorque pendant la route et l'on repart. La nuit nous surprend très loins encore du lieu de l'étape, il faut allumer les lanternes. Après Vitry-le-François, nous passons Aulnay, l'Aître, puis Châlons, Epernay, Champaubert, Montmort, la Ferté-sous-Jouarre et Viels-Maisons où nous cantonnons. A Châlons, remarqué de nombreuses maisons récemment démolies dans la ville par des avions boches. Des soldats procèdent au déblaiement. Le convoi est arrêté en pleine campagne. Il est dix heures et nous dînons aussitôt. Tous ces repas sont pris debout devant les camions. Il est 11 h 1/2 lorsque je me couche tout habillé sur de la paille dans une ferme, fatigué par une étape un peu dure. (Distance parcourue 135 km).
2 avril 1918. En route pour Beauvais (Oise). Debout à 4h. Le rassemblement des conducteurs à leurs camions est assez long. Toutefois, le convoi peut démarrer à l'heure indiquée, 5 h 1/2. La marche est bonne. Pas beaucoup d'embûches, aussi l'on file vite vers Meaux, traversé sans arrêt. Plessis-Belleville. 1h d'arrêt. L'on déjeune. Le soleil se montre et les routes sont devenues poussiéreuses. Je reçois l'ordre de partir en camionnette pour venir reconnaître le cantonnement. Je dois monter à l'intérieur où l'on reçoit beaucoup de poussière. Creil, je descends pour me placer en lapin dégouté, aveuglé par la poussière. Nous arrivons à Beauvais vers 4 heures et l'officier, qui nous a précédés, annonce qu'il n'y a pas de cantonnement pour nous, la ville étant bondée de réfugiés venant des régions de Montdidier où les boches ont pu, au cours des dernières batailles, avancer un peu ! Toutefois, nous trouvons une maison d'habitation inhabitée depuis fort longtemps et c'est là que tous nos hommes pourront, ce soir, s'y reposer un peu. 6 h 1/2, les camions arrivent et se placent aussitôt sur une grande place au milieu de grands arbres. L'on dîne et vers 9h chacun est heureux de prendre un peu de repos. Je suis exténué. Je monte mon petit lit dans la remorque atelier où je m'endors rapidement. En nous rapprochant de Beauvaix, j'ai croisé des files de réfugiés, femmes, enfants, avec des charrettes chargées de l'indispensable, envoyés vers l'arrière. Pauvres gens ! (Distance parcourue 145 km).
3 avril 1918. Beauvais (Oise). Levé à 7h, je suis assez reposé. Les camions chargés s'en vont aux environs de la ville pour opérer le déchargement et, comme j'ai un peu de liberté, j'en profite pour faire un peu de toilette et, dans l'après-midi, visiter la ville où sr trouve une très belle cathédrale. Nous recevons l'ordre de partir le lendemain matin pour aller à Contre, petit village près de Conty, aux environs de la capitale picarde : Amiens. C'est de ce côté-là que se livre la grande bataille. Temps gris, sans pluie.
4 avril 1918. Contre (Somme). Levé de bonne heure, préparatifs de départ. Il est 8h, le convoi démarre. Placé à la tête, je le conduis pour un itinéraire où je rencontre des convois qui nous obligent mutuellement à passer sur les côtés de la route, au risque de s'embourber. La marche est forcément lente. Il pleut. A une heure, nous arrivons à destination après avoir passé par Crèvecoeur, Conty. Partout se trouvent des évacués ou réfugiés des pays récemment envahis, ou sur la limite des lignes de la bataille. Nous mangeons la soupe de bon appétit sur le bord des camions. APrès quoi, nous avons la chance de trouver un cantonnement pour tous les hommes de la section (le grenier d'une grande ferme). J'y installe mon lit dans un coin. Les camions sont rangés dans la cour où l'on patauge dans une mare d'eau sale et de boue ! De nombreux réfugiés sont logés dans cette ferme. Ils sont venus là avec leur bétail, une charrette, quelques effets ; hommes âgés, femmes et enfants qui sont tous à plaindre et quelle existence cruelle pour eux !
5 avril 1918. Contre (Somme). Tout le monde a bien dormi, moi y compris. Nous voici au bout de notre déplacement. Nous allons, là, procéder aux transports habituels. Dans la cour, le matériel, les approvisionnements sont rangés, vidant les camions. 4 de ces derniers s'en vont sous la direction d'un brigadier à Aumale pour un transport à Conty. Il pleut, le temps est humide et froid. Depuis le départ de Toul, la popote n'existe plus. Nous prenons nos repas, tant gradés que conducteurs, à la cuisine remorque. D'ailleurs, l'ordinaire, s'il n'est pas très varié, est suffisant. Me revoilà en sabots, quel bourbier dans cette cour !
6 avril 1918. Contre (Somme). Tous les camions sont conduits au travail et ce pour deux détachements séparés. J'ai la conduite de l'un d'eux (12 camions). Comme il faut être rendu à la carrière à 6h du matin, nous sommes tous levés de très bonne heure. COmme d'habitude, ce sont des vieux territoriaux qui procèdent au chargement. J'ai ordre d'aller porter ces cailloux vers Moreuil que les boches ont pris depuis peu. Par Conty, Essertaux nous venons vers le premier pays cité et arrêtons avant le village de Jumel. Les routes sont défoncées et très encombrées. La marche est forcément lente au milieu de ce chaos de voitures qu'il faut doubler ou croiser. Au retour, il y a un sens obligatoire qui oblige mon convoi à parcourir un trajet beaucoup plus long qu'à l'aller. Il est une heure lorsque nous arrivons pour manger la soupe. APrès quoi, nous accomplissons un 2ème voyage au même but. Mais, après avoir pris le chargement non pas à la carrière de Contre comme au premier voyage, mais à Chameson et en gare. Je rentre avec tous les camions à 7h, sauf un tombé en panne et que les mécaniciens vont remettre à flot pour lui permettre de rentrer. Le temps, assez beau le matin, s'est gâté dans l'après-midi et le soir il pleut. Journée très dure.
7 avril 1918. Contre (Somme). Vers le milieu de la nuit, un ordre arrive. Il faut envoyer des camions au travail, aussitôt le jour venu. Les routes deviennent impraticables et le besoin de réparations est des plus urgents. J'assure donc le départ des camions et je reste au cantonnement. Dans l'après-midi, une feuille de mutation, signée du directeur de notre service, m'envoie à la T.M.22, section de réserve de l'armée (réserve matériel et personnel), cantonnée à Beauvais. Cette nouvelle, au prime abord, me surprend mais ne m'inquiète pas car je sais que de cette T.M.22 arrive pour me remplacer un brigadier plus jeune que moi. C'est tout simplement par application de la loi Mourier que je suis envoyé dans ce service d'arrière front où régulièrement ne doivent s'y trouver que des réservistes de l'armée territoriale (dont je suis) ou des auxiliaires. Quel va être mon emploi ? C'est ce que je suis anxieux de savoir. Temps assez beau dans la journée. Le soir il pleut. La canonnade est très grande.
8 avril 1918. Départ pour Beauvais (Oise). Sitôt levé, je prépare "mon barda" pour.... une fois de plus, déménager. Il pleut. Je dois monter dans la voiture postale qui passe dans l'après-midi. Je passe mon service à un camarade et, à 3h, je monte dans l'intérieur de la camionnette, quittant pour ne plus y revenir la section 91 où j'étais depuis 30 mois ! Il pleut. Les convois ou troupes à pied obligent la camionnette à marcher lentement. Nous passons par Poix et Grandvilliers pour arriver vers 7h à Beauvais. Les cahotements, l'odeur des gaz brûlés m'ont causé un mal de tête épouvantable. Je réussis à trouver le cantonement où, aussitôt, je me couche tout habillé, sans dîner, tant la fatigue que je ressens est grande.
9 avril 1918. Beauvais (Oise). A 8h, je me présente dans les bureaux de la T.M.22, puis à l'officier commandant cette section, lequel me met en rapport avec un maréchal des logis, sous les ordres de qui je suis placé. Quelques mots sur la T.M.22. Section de réserve de matériel et de personnel, elle est divisée par groupes. Chacun des groupes s'occupe uniquement d'un genre de véhicule, versé au groupe D ou groupe des camions. J'aurai à m'occuper des départs voitures ou livraisons de matériel à des formations de l'avant. Je passe le restant de la journée à me mettre en contact avec mes camarades brigadiers prenant les repas à une popote d'une dizaine de membres. L'impression générale de la journée est favorable. Je loue une chambre dans une petite maison de campagne et, le soir, je suis très heureux de me trouver si bien à l'abri et des intempéries et.... du reste. Temps gris, couvert et sans pluie.
10 avril 1918. Beauvais (Oise). Debout à 6 h 1/2 et, à 7h, je suis sur la place du Jeu de Paume où se trouvent les camions. Je suis désigné pour convoyer 2 camions allant livrer de l'huile et une remorque à Croissy, près de conty, c'est-à-dire aux environs de l'endroit que j'ai quitté il y a seulement 2 jours. Emportant un repas froid, je refais la même route parcourue le 8, alors que je quittais Beauvais avec tous les camions de la 91. Au delà de Crèvecoeur, la route est très encombrée et en fort mauvais état. J'arrive néanmoins sans encombres. Une fois la marchandise livrée et après avoir déjeuné sur l'herbe, je reprends la route de Beauvais. Incidents de route nombreux. Il pleut. A 5 h 1/2 ma mission est terminée. Je vais dîner. Petite promenade et je rentre. Voilà donc ma première journée de travail à la section.
11 avril 1918. Beauvais (Oise). Je dors bien dans cette petite chambre, située dans un quartier tranquile. Le temps est assez beau. Je passe la plus grande partie de la journée sur la place du Jeu de Paume où sont rangés tous les véhicules de la section. Je n'y ai pas grand chose à faire, aussi je profite de ce calme pour écrire de nombreuses lettres, ce que j'avais négligé depuis mon départ de Lorraine.
12 avril 1918. Beauvais (Oise). Même journée de calme et de repos. Le temps est très beau. Des files interminables de camions passent, transportant des troupes vers le front. La canonnade s'entend furieuse au loin. De nombreux hôpitaux de la ville reçoivent des blessés qui arrivent, hélas ! très nombreux. Après le repas du soir, petite promenade avec des camarades brigadiers qui couchent dans le même quartier que le mien. Il y a autour de la ville de larges avenues, plantées de grands arbres dont les feuilles commencent de bourgeonner.
13 avril 1918. Beauvais (Oise). Temps brumeux, froid et pluvieux dans la soirée. Je m'ennuie à ne rien faire ! L'après-midi, je fais opérer le déchargement de wagons à la gare et, là, j'assiste à l'évacuation des blessés par un train sanitaire. Les voitures d'ambulance qui desservent les hôpitaux de la ville sont conduites par des femmes. Quelques-unes de ces conductrices portent le costume masculin, les cheveux coupés courts, elles m'apparaissent ridiculiser leur sexe !
14 avril 1918. Beauvais (Oise). Vilain temps couvert, pluvieux et même très froid. Bien que ce soit dimanche, l'on travaille comme les autres jours et cela n'a rien qui me surprenne, en raison des opérations militaires actuelles. En effet, les boches continuent de sérieuses et puissantes attaques sur notre front et aussi celui des anglais, avec lesquels nos troupes vont lutter pour résister à l'envahisseur. Le soir, avec deux camarades, nous dînons au restaurant en ville, afin de faire diversion à l'habituel ordinaire du cuistot.
15 avril 1918. Beauvais (Oise). Temps brumeux et très froid. Le matin, je suis volontaire pour accompagner un camion destiné à aller "dépanner" un camion à mon ancienne section. Je pars vers 10 h 1/2 pour COntre où je n'arrive qu'à 1 heure par suite des convois trouvés devant nous et qui retardent la marche des véhicules isolés. A la 91, je revois quelques-uns des camarades quittés il n'y a que quelques jours (les autres sont au travail). Je déjeune et vais ensuite à Crèvecoeur car c'est là qu'a été déjà transporté le camion en panne. Je rentre au cantonnement de Beauvais à 6h du soir, transi de froid, fort heureux de trouver à dîner et un bon gîte.
16 avril 1918. Beauvais (Oise). Le temps continue d'être brumeux et froid. Je fais le va et vient dans le parc, au milieu des voitures de la section où il y a souvent des départs ou arrivées de voitures. Je n'ai pas à me plaindre du sort que me fournit ma nouvelle situation. Toutefois, je me trouve trop inoccupé, en sorte que je m'ennuie plutôt.
17 avril 1918. Beauvais (Oise). Même journée quant au temps et à mes occupations. Le soir, je suis de garde à partir de 6h. J'organise le tour de rôle des six hommes qui se relaient chaque faction de 2 heures. Je me couche vers minuit.
18 avril 1918. Beauvais (Oise). Le froid reste vif, le soir il pleut ! Des tgroupes américaines passent, se dirigeant vers le front.
19 avril 1918. Beauvais (Oise). Ma vie nouvelle est parfaitement réglée et tous les jours se ressemblent : levé à 6h, je viens sur la place au parc aux camions, déjeuner à midi, dîner à 6h. Peu de travail entre les repas, petite promenade après le dîner et au lit vers 9h. Il tombe un peu de neige glaciale, giboulées de printemps !
20 avril 1918. Beauvais (Oise). Dans la nuit les sirènes sonnent l'alerte. Un avion boche passe. Nos canons tirent. Je ne bronche pas du lit. D'ailleurs, cet avion n'a rien "laissé tomber" sur Beauvais. Je suis très surpris, le matin, de constater que la campagne est recouverte d'un manteau blanc. Givre glacé qui brûle les arbres fruitiers tout en fleurs. La journée, le froid est vif, malgré quelques éclaircies de soleil.
21 avril 1918. Beauvais (Oise). Le froid reste vif. Des files de camions portant des troupes passent. Il n'est pas jusqu'aux sections routières qui, venant d'autres parties du front, viennent dans la région où l'on continue de se disputer la victoire. Les boches ont fait une nouvelle offensive dans les Flandres, c'est-à-dire encore contre les troupes anglaises. Là-bas, comme ici, les troupes françaises sont venues aider nos alliés et les boches n'avancent pas.
22 avril 1918. Beauvais (Oise). Même temps brumeux. Journée très calme. Je suis trop inoccupé !
23 avril 1918. Beauvais (Oise). Il a plu au cours de la nuit. Dans la matinée le soleil se montre et la température est sensiblement plus chaude. Un adjudant m'informe que je suis désigné pour remplir les fonctions de brigadier d'ordinaire à la section où il existe déjà un brigadier d'approvisionnement. Cette place ne m'enchante pas, mais c'est un ordre et je n'ai qu'à obéir.
24 avril 1918. Beauvais (Oise). Sitôt levé, je viens prendre contact avec les cuisiniers, puis avec le brigadier qui s'occupe du ravitaillement. Je m'initie et me mets au courant de mes nouvelles fonctions. Le maréchal des logis fourrier de mon ancienne section, venu à Beauvais pour y faire des provisions, m'invite à déjeuner. Nous causons naturellement beaucoup de la 91, à la tête de laquelle se trouve un nouvel officier et où il y a eu tant de changements en bien peu de temps ! Journée brumeuse, pas de soleil.
25 avril 1918. Beauvais (Oise). Je m'instruis des besoins et des usages de la cuisine. Il y a entre 200 et 300 hommes à nourrir. Une très grande fluctuation se produit à chaque repas, grâce à un personnel flottant et très peu stable. Aux heures des repas, il y a bien du mal à caser tous les présents. Je trouve ce rôle bien ingrat, je n'ose pas dire ennuyeux. Temps toujours brumeux et sans soleil.
26 avril 1918. Beauvais (Oise). Brouillard le matin, un peu de soleil l'après-midi. Le matin je continue à me lever de bonne heure. Contrôle, ou plutôt surveillance à la distribution du jus, puis corvée de réfectoire, distribution des vivres, contrôle des repas de midi et du soir. Tel est, en général, mon nouveau travail.
27 avril 1918. Beauvais (Oise). Tout comme la veille, j'assure mon service de "marchand de soupe", rien de très dur. Je marche beaucoup pour mes déplacements divers. Aussi, le soir suis-je plutôt las. Toutefois, cela ne signifie pas que mon travail soit dur, non, je le trouve, au contraire, très doux. Vilain temps, brumeux, sans soleil.
28 avril 1918. Beauvais (Oise). Dimanche. Le matin ressemble aux jours précédents. L'après-midi, il y a repos. Je vais promener dans la ville. Le temps reste brumeux. Vrai temps à cafard !
29 avril 1918. Beauvais (Oise). Avec un camion et quelques hommes de corvée, je vais dans la forêt dite "bois du Parc" pour y prendre du bois de chauffage nécessaire à la cuisine. Jolie forêt où commence de fleurir le muguet. Il pleut, l'on revient tout crottés. Quel affreux temps.
30 avril 1918. Beauvais (Oise). Il a plu dans la nuit et ça continue la journée et.... aussi le soir. Je m'habitue au nouveau service que je fais avec plus de coeur. Je m'intéresse, en effet, aux besoins de la cuisine, cherchant à éviter des abus ou du roulage dans les distributions. Je commence ce jour de prendre mes repas dans une popote où sont déjà réunis sept autres membres gradés ou employés de la section. Améliorer l'ordinaire constitue une des rares distractions au front. En outre, cette popote est plus gaie que celle que je quitte, moins bruyante, au total plus agréable pour moi.
1er mai 1918. Beauvais (Oise). Toute la nuit, la pluie tombe. La journée est brumeuse et, comme nombreuses des précédentes, tout à fait exempte de soleil. Beaucoup de camions passent, transportant des troupes vers le front.
2 mai 1918. Beauvais (Oise). Enfin, le soleil cesse de bouder. Le temps est très beau, ce qui fait un grand contraste avec les journées précédentes. Je ne crois pas devoir reparler de mon travail qui, chaque jour, se répète, semblable à celui de la veille. Quelquefois, "un client" se montre grincheux et se plaint d'avoir soit une trop petite ration de vin, ou bien un quart de vin insuffisamment rempli. Il s'agit pour moi de concilier "clients" et cuisiniers et ce n'est pas toujours bien facile.
3 avril 1918. Beauvais (Oise). Le beau temps continue. Le matin, puis l'après-midi, je vais avec un camion et une corvée chercher du bois ainsi que je l'ai fait quelques jours avant. Véritable promenade pour moi. Corvée peu pénible pour les hommes qui ont simplement mission de charger et décharger ledit bois.
4 avril 1918. Beauvais (Oise). Dans la nuit il a beaucoup plu et le temps reste brumeux. Je suis de garde le soir, à partir de 8h et, pendant le dîner, j'ai la surprise agréable de vois arriver mon frère qui, de Rueil où il est toujours, a obtenu 24h de permission pour venir jusqu'à moi. Tout en devisant avec mon frère, le temps passe plus vite. Jusqu'à 11 h 1/2 je ne quitte pas la place aux voitures. Le ciel est clair. Avec mon frère, nous allons ensuite dormir.
5 avril 1918. Beauvais (Oise). Temps maussade, pluvieux même. Mon frère demeure toute la journée avec moi, prenant ses repas à la popote. Je lui fais visiter la ville, ses monuments. En particulier la cathédrale et une horloge, véritable monument de mécanique.
6 mai 1918. Beauvais (Oise). Toujours le temps gris et couvert, dans l'après-midi le ciel est clair et les escadrilles d'avions en profitent pour voler. QUelques aviateurs font de véritables prodiges d'acrobatie et d'est amusant de les voir se livrer à des exercices vraiment extraordinaires.
7 mai 1918. Beauvais (Oise). Il a plu à torrents une grande partie de la nuit, la journée le ciel est maussade. Mon travail est invariable. Je me fais difficilement à ce service.