Carnet de notes n°10 appartenant à Jacques Meiffret du 4 septembre 1917 au 22 janvier 1918
4/9/1917 - 22/1/1918 (date du document)
5 septembre 1917. Mont-St-Père (Aisne). Journée au cantonnement. Il fait beau temps.
6 septembre 1917. Mont-St-Père (Aisne). Départ avec les camions à 6h. Temps couvert et orageux dans l'après-midi. J'accomplis quelques voyages jusqu'à Condé (route de Montmirail). La route passe entre deux collines, dans une petite vallée dénommée le Surmelin et où le paysage est fort agréable.
7 septembre 1917. Mont-St-Père (Aisne). Mettant à profit mon loisir des longues et nombreuses journées à passer au cantonnement, je viens à Château-Thierry avec la camionnette pour y faire divers achats et couper les cheveux. L'après-midi, je lis et écris. Temps pluvieux.
8 septembre 1917. Mont-St-Père (Aisne). Journée passée sur la route. Le matin, il y a un épais brouillard. Puis, une fois dissipé, la température est chaude. Dans l'après-midi, je suis subitement pris d'une indisposition, avec fort mal à la tête. Sitôt rentré, je prends quelques soins et me mets au lit sans dîner.
9 septembre 1917. Mont-St-Père (Aisne). Dimanche. Suis réveillé de très bonne heure. Mon indisposition a presque disparu. La matinée je vaque aux soins divers de propreté, tant de ma personne que de la pièce où mon camarade et moi couchons. L'après-midi, courte promenade. Il fait très chaud et le matin, grâce au brouillard, la température était humide et fraîche ! Ah ! ce climat du Nord !!
10 septembre 1917. Mont-St-Père (Aisne). Journée au cantonnement. Diverses écritures le matin. L'après-midi, je viens à Château-Thierry et prends un bain dans un établissement en boir sur la Marne. Là, est-ce parce que la digestion n'était pas encore faire, ou une autre cause ? Toujours est-il qu'à la sortie de la baignoire, un subi malaise s'empare de moi et je dois faire appel au personnel de la maison pour prendre un cordial, après quoi je reprends tout à fait mes sens. Beau temps. Le matin, le long de la rivière la Marne, régnait un brouillard très épais.
11 septembre 1917. Mont-St-Père (Aisne). Je roule avec les camions toute la journée. Il fait très beau temps. Suis tout à fait remis de mes deux indispositions.
12 septembre 1917. Mont-St-Père (Aisne). Le tmeps est pluvieux, je ne quitte pas le cantonnement.
13 septembre 1917. Mont-St-Père (Aisne). Temps couvert et froid, le matin tout au moins. Je roule toute la journée sur les camions. Le soir je tire la courte-paille avec mon camarade, à l'effet de faire désigner par le sort celui qui de nous deux accompagnera notre officier, le lendemain, dans une randonnée sur sa voiture. Le sort m'est favorable.
14 septembre 1917. Mont-St-Père (Aisne). Debout de bonne heure. Le temps est malheureusement pluvieux. Nous partons à 7h, mon lieutenant, son conducteur et moi. Deux heures après, nous stoppons à Vic-sur-Aisne, après avoir parcouru l'itinéraire : Château-Thierry, Ferté-Millon, Villers-Cotterets. Itinéraire déjà décrit précédément. après quelques formalités aurpès du détachement de la section dans ce pays, nous repartons vers Noyant et sommes très rapidement en pleine région dite "pays reconquis". Depuis plusieurs mois, en effet, les boches ont procédé par là à un recul important de leurs lignes et libéré du territoire. L'impression première est que l'on parcourt un désert. L'oeil embrasse l'horizon nu, pas d'arbres, mais de hautes herbes sauvages partout et de ci de là des réseaux de fils de fer barbelés, des tranchées, boyaux, trous d'obus, enfin des surfaces de terres remuées en tous sens par les combattants. Nous parcourons, ainsi, bien des kilomètres et par des chemins très précaires nous arrivons à ce qui fût le village dénommé "Moulin-sous-Touvent", dont les communiqués parlèrent souvent. Là, la désolation est complète. Les maisons sont représentées par des amas de pierres. Une sucrerie se trouve non loin du village, elle est anéantie. Des arbres aux abords sont tous déchiquetés, attestant ainsi des deux combats qui se livrèrent. Remarqué des carrières dont les sous-sols étaient transformés en abris. Dans la plaine, ce sont des abris en ciment armé que l'artillerie a fait sauter. Nous traversons encore les villages de Nampcel, Vassens, Morsain et tous sont vides de leurs habitants et pour cause ! Pas une maison n'est restée debout. Dans la campagne, nous sommes frappés à la vue des arbres fruitiers sciés dans leurs bases par nos ennemis avant leur retraite : c'est du banditisme ! A 11 h 1/2, nous revenons à Vis-sur-Aisne pour déjeuner. Après quoi, nous reprenons la direction des pays libérés. Nous venons par St Christophe, Berry, Vingré jusqu'à Nouvron, passant par le plâteau du même nom où durent également se livrer des combats acharnés, ainsi que l'attestent les incalculables lignes de fils de fer, boyaux, trous d'obus, etc. Nous ne rencontrons personne, à part quelques camions venus pour emporter des matériaux récupérés. Il pleut et le coup d'oeil sur cette terre dévastée est terriblement triste. Vers 4 heures, nous reprenons le chemin du retour. A 7h nous revoilà au cantonnement, après avoir parcouru une randonnée dont j'exprime sommairement le souvenir qui ne me quittera certainement jamais.
15 septembre 1917. Mont-St-Père (Aisne). Il pleut. Je quitte le cantonnement à 6h avec les camions que j'accompagne au cours de la journée. Vers le soir, le temps se met au beau.
16 septembre 1917. Mont-St-Père (Aisne). Dimanche. Fort brouillard le matin, puis très beau temps. Assez occupé jusqu'au repas de midi. Je flâne au cantonnement le restant de la journée.
17 septembre 1917. Mont-St-Père (Aisne). Beau temps. Je ne quitte pas le cantonnement où, comme la veille, j'ai de l'occupation toute la matinée.
18 septembre 1917. Mont-St-Père (Aisne). JOurnée passée sur la route. Le temps reste beau. Nous continuons le transport sur les mêmes routes.
19 septembre 1917. Mont-St-Père (Aisne). Journée de cantonnement. Beau temps, chaleur lourde.
20 septembre 1917. Mont-St-Père (Aisne). Je quitte le cantonnement à 6h avec le détachement des camions qui vont à Trélou au bord de la Marne où ils prennent leur chargement de pierres et les transportent route de Fère-en-Tardenois. Dans la forêt de Ris, je quitte ce détachement et pédestrement je rejoins le 2ème détachement au petit village Le Charmel, soit une heure de marche hygiénique. Le temps est brumeux, humide. COmme à l'ordinaire, je viens déjeuner à "la popote" et je repars l'après-midi avec les camions. Au moment du retour, le soir, un très violent orage survient qui transforme les rue du village en ruisseaux.
21 septembre 1917. Mont-St-Père (Aisne). Le temps est redevenu beau. Je passe la matinée au cantonnement et l'après-midi, par distraction, je viens à bicyclette à Château-Thierry et là, je monte à un point culminant dénommé "le château" où se trouve un jardin public, quelques vieilles tours en ruines. Le coup d'oeil sur la ville et la vallée de la Marne est remarquablement joli. Je retourne à Mont-St-Père vers 5h. Ces 16 km à vélo m'ont dérouillé les jambes. Il y a, en effet, très longtemps que je n'en avais plus fait.
22 septembre 1917. Mont-St-Père (Aisne). Je pars avec les camions pour accomplir le même trajet de l'avant-veille. Il règne un brouillard très épais, en même temps que humide et froid. Toutefois, vers 9h, le brouillard a disparu et le soleil apparaît très chaud. L'après-midi, je roule avec un fort mal à la tête. Aussi, je rentre au cantonnement avant la fin du travail.
23 septembre 1917. Mont-St-Père (Aisne). Depuis plusieurs jours, j'ai décidé d'aller à Paris. Je choisis ce jour-là qui est un dimanche. Parti de la gare de Mézy vers 9 h 1/2 par un temps brumeux, j'arrive à Paris à midi avec temps superbe. En compagnie d'un camarade, je déjeunedans un restaurant des environs de la gare de l'Est. Je me sépare ensuite de ce camarade, venu pour visiter sa famille et je cours au métro pour descendre aux Invalides. J'arrive rue St Dominique où j'ai la déception d'apprendre que l'officier que je désirais voir est absent et j'en suis navré. Venu pour entretenir cette personne de ma demande de sursus, je me vois contraint de repartir sans pouvoir rien apprendre. Il est 3h, comme je ne repars que le soir, je pase mon après-midi à visiter, seul, les Invalides, musée de l'Armée, prises de guerre diverses, etc. Puis, j'arpente les Champs Elysées, place de la Concorde, place de l'Opéra, les grands boulevards. Partout il y a foule, belles toilettes, non vraiment, ici, ça n'est pas la guerre ! 8h, me revoilà dans le train pour le retour. J'arrive à 10h à Château-Thierry et, à pied, je rejoins Mont-St-Père vers minuit, las d'avoir tant marché, contrarié d'avoir raté ma visite, mon déplacement a simplement fait diversion sur les journées d'ordinaire si monotones et, en particulier, les dimanches.
24 septembre 1917. Mont-St-Père (Aisne). C'est mon jour de "cantonnement". Journée qui me paraît moins longue que les précédentes, par suite de l'occupation que je trouve ce jour-là. Le temps est très beau.
25 septembre 1917. Mont-St-Père (Aisne). Debout à 5 h 1/2, je pars à 6h avec les camions. Il règne un brouillard très épais, glacial. Il se dissipe dans la matinée pour faire place à un très beau temps. Le soir, l'agent de liaison apporte une nouvelle qui vient troubler notre douce quiétude : la section est, par ordre, disloquée et avec des camions en mauvais état, envoyée au parc de révision à Pont-Ste-Maxence (Oise). C'est vers le 1er octobre que ce changement, ou plutôt ce départ, doit s'effectuer. Nous sommes remplacés à Mont-St-Père par une autre section du groupe routier auquel appartient jusqu'ici la 91. Je ne suis pas très surpris à l'annonce de cette nouvelle. Voici 5 mois que nous sommes dans un endroit tranquille et certainement c'est déjà fort appréciable. D'autre part, depuis plus de 3 ans, j'ai subi déjà tant de changements que cela devient une habitude. Toutefois, il est juste d'avouer que, tous, nous regretterons Mont-St-Père, car il est peu probable que nous rencontrions l'équivalent en tant que cantonnement et tranquilité en génétal. A remarquer que, depuis mon passage au service automobile, chaque année des changements surviennent à cette époque. Quelle sera ma situation demain ? Où irai-je ? Je suis un peu anxieux de connaître ces détails, sans pour cela être inquiet sur mon nouveau sort.
26 septembre 1917. Mont-St-Père (Aisne). Journée au cantonnement. Il fait beau temps. Dans la section, chacun commente le départ et c'est un jeu de suppositions sur notre future situation à tous. La disloquation est discutée avec une certaine apréhension. Pour mon compte, je vais réclamer la régularisation de ma situation, c'est-à-dire ma nomination de brigadier, que les bizarreries du métier militaire ont empêché, alors que c'était là chose promise lors de mes débuts dans ces fonctions, en février dernier.
27 septembre 1917. Mont-St-Père (Aisne). Je roule toute la journée avec les camions. Le temps est beau. Le soir, je demande à mon lieutenant l'autorisation d'être présenté au commandant du service automobile auquel ma section est rattachée et ceci dans l'espoir d'obtenir la nomination promise.
28 septembre 1917. Mont-St-Père (Aisne). Journée de repos. Le matin je ne quitte pas le cantonnement. A 1 heure de l'après-midi, je pars dans la voiture de l'officier et avec ce dernier, pour aller chez le commandant Sainctarit, dont le bureau est à Septmonts, petit village tout près de Soissons. La voiture nous conduit rapidement à cet endroit. Mon officier, après un court entretien auquel je n'assiste pas, obtient du commandant la régularisation de ma situation. Ce dernier va donc me nommer brigadier et comme tel je resterai à la 91, ce que je désirais. Je suis heureux de ce résultat qui met fin à une situation qui, quelquefois, me parut ridicule, en raison de ce que j'avais à commander des camarades. Dans le métier militaire, le galon ne fait point l'homme, mais il en impose, ceci me manquait. Désormais, je serai donc à l'abri des critiques. A 4h, nous sommes de retour au cantonnement. Le temps étant très beau, les routes sont poussiéreuses. J'ai, en somme, accompli une longue promenade, à travers un pays au terrain accidenté, partout très pittoresque. Vers Soissons règne un grand mouvement sur les routes : tracteurs, gros camions, on en voit partout.
29 septembre 1917. Mont-St-Père (Aisne). Les heures de travail sont modifiées. Le matin, le départ s'effectue à 6 h 1/2, au lieu de 6h. Celui de l'après-midi à 1h, au lieu de 1 h 1/2. Je roule tout le jour avec les camions. Fort brouillard le matin, très beau le restant de la journée.
30 septembre 1917. Mont-St-Père (Aisne). Dimanche. Le dernier, sans doute, à passer à Mont-St-Père, dans ce petit coin où nous menions une vis si tranquille. Le temps est beau. Je ne quitte pas le cantonnement. Dans l'après-midi, le détachement des camions qui se trouvait à Vic-sur-Aisne rentre. La veille était déjà rentré celui de Fontenelle, la section entière se trouve donc rassemblée ici. Il nous reste à attendre l'arrivée de la section qui nous remplacera dans notre service pour, ensuite, prendre la direction du parc. Dans la soirée, vers 10h, alors que j'écris, des avions survolent l'endroit où nous sommes. Il fait un clair de lune superbe. Ce sont des boches qui, mettant à profit la visqibilité de nuit, nous font cette visite, jetant des bombes sur la gare de Mézy et à la sortie du village. Nous percevons l'éclatement de ces bombes, puis le bruit des moteurs s'éloigne. Cette visite nocturne des oiseaux artificiels ennemis, est venu nous rappeler que nous étions à la guerre. Depuis longtemps, en effet, nous n'avions entendu si près le fracas des éclatements d'obus.
1er octobre 1917. Mont-St-Père (Aisne). Je reste au cantonnement. Dans la matinée, je vais visiter l'endroit où sont tombées les bombes d'avions dans la soirée de la veille, dans les champs et à proximité d'une maison. Les dégâts sont nuls, point d'accident de personnes non plus. Seul un noyer a vu toutes les noix tomber, par suite du déplacement d'air provoqué par l'explosion. La section qui vient nous remplacer à Mont-St-Père arrive. Notre départ est donc très prochain. Ma nomination officielle au grade de brigadier parvient à la section. Ce même jour, ma classe est versée dans la réserve de l'armée territoriale. Me voici donc "vieux pépère" et je ne suis que brigadier !! Il fait beau temps, brouillard le matin.
2 octobre 1917. Mont-St-Père (Aisne). Je pars à 6 h 1/2 avec les camions et un brigadier de la section qui nous remplace, afin de lui faire connaître les divers itinéraires et lieux de chargement. Il règne un épais brouillard qui, une fois dissipé, fait place à un très beau temps. L'après-midi, je reste au cantonnement où se font les préparatifs de départ.
3 octobre 1917. Mont-St-Père (Aisne). Nos camions ne roulent plus pour le service. Il est fait un échange de véhicules et la section hérite des vieux tacots pour les conduire au parc. Un tiers de l'effectif conducteurs est versé dans une autre routière de l'armée. La journée se passe en formalités de cessation ou reprises de véhicules et matériel. Le matin, je viens à Château-Thierry à bicyclette, pour y prendre un bain. Le temps est brumeux.
4 octobre 1917. Départ de Mont-St-Père pour le parc de révision. De fort bonne heure, tous nous bouclons nos malles pour les transporter à bord des camions rangés en convoi original par la diversité des véhicules. 4 doivent être pris en remorque. Après le déjeuner, pris à 11h, chacun prend place dans le convoi et l'on part. Je me trouve vers le milieu. Il fait un temps affreux. Grand vent qui soulève des nuages de poussière. Aussi, sommess-nous rapidement recouverts d'une couche poudrée. Nous traversons Château-Thierry et, à la sortie de cette ville, empruntons la route de Meaux, but de l'étape du jour. C'est exactement à rebours l'itinéraire parcouru le 1er février dernier, alors que la section quittait leparc de Meaux pour venir vers le front. Malgré le piteux état de nos vieux tacots, la marche du convoi est bonne et nous atteignons Meaux vers 5h du soir. Un cantonnement est assigné aux conducteurs. Je viens demander l'hospitalité à l'hôtel où l'hiver précédent je suis resté 4 mois. Pas de place. Je m'adresse à un autre où j'ai la chance de trouver. Là, je dîne avec mes 3 camarades. Depuis notre arrivée à Meaux, il pleut. Le convoi est à l'entrée de la ville, placé sous la garde de nos conducteurs, se relayant chaque deux heures.
5 octobre 1917. Arrivé à Pont-Ste-Maxence (Oise). J'ai bien dormi. Au lever du jour, il pleut à torrents. Je me lève à 7h. Nous repartons de Meaux vers 8h, pour venir prendre la route de Senlis. Route très belle, agrémentée de fortes côtes. Le temps est froid. Le camion que lequel je me trouve s'arrpete brusquement, ayant perdu la roue avant droite ! Je suite sur le suivant. Le convoi se resserre, laissant le camion aux mains des mécaniciens qui se trouvent dans le dernier camion. Vers midi, nous arrivons à Senlis, laissant à l'entrée du pays nos camions. Nous venons déjeuner dans un petit restaurant et, à 1h, nous revoilà en route. Il pleut. Au Plessy-Belleville, nous longeons l'aérodrome où se trouve une importante école et aussi le parc de réserve de l'aviation. QUantitiés d'appareils volent et nous assistons aux départs et atterrissages d'aéros. Un peu plus loin, c'est la traversée d'un pays fort joli : ERmenonville, où l'on aperçoit un château entouré d'un parc, avec petits lacs, un peu plus loin la forêt. A 3 heures, nous arrivons à Pont-Ste-Maxence et nos camions sont placés là où, il y a deux ans, la section s'y trouvait venant de la région de l'Artois. Même cantonnement aussi pour les conducteurs. Le bureau s'installe dans une maison non habitée et dans une pièce je monte mon lit. Il pleut, on dirait les bigoulées de mars. Nous voici arrivés au terme du voyage, du moins en ce qui concerne les camions. Lesquels, dès le lendemain, doivent être versés au parc de révision de l'endroit. Quant au personnel, officier et gradés de cadre compris, rien n'est décidé. Qu'allons-nous devenir ? Pas un de nous qui ne soit anxieux de le savoir. Peu après le dîner, je me mets au lit. au dehors il pleut et le froid se fait sentir.
6 octobre 1917. Pont-Ste-Maxence (Oise). Sitôt levés, les camions sont rassemblés et conduits sur la place du Champ de Mars, dénommé cimetièredes voitures à réviser, là il est procédé à leur inventaire d'outillage. Ce travail demande la matinée et une partie de l'après-midi. Après quoi nous n'avons rien à faire... qu'à attendre des ordres pour notre nouvelle destination. Il fait froid, dans l'après-midi il pleut.
7 octobre 1917. Pont-Ste-Maxence (Oise). Dimanche. Nous somes tous inoccupés. Le temps reste menaçant. Je vais, le matin, à Creil en bicyclette (112 km de Pont) en suivant la rive gauche de l'Oise, rendre visite à la famille de mon ancien compagnon de camion, Vigié. Invité à déjeuner, je décline l'offre pour regagner par la même route mon cantonnement à Pont, où un ordre subit peut arriver. Dans l'après-midi, le temps est affreux : vent, pluie. Nous jouons aux cartes pour tuer le temps. Vers le soir, courte promenade au bord de l'Oise où la pluie nous surprend. Dîner et couché de bonne heure.
8 octobre 1917. Pont-Ste-Maxence (Oise). Levé tardif, le temps est pluvieux, froid. L'après-midi, profitant d'une accalmie, je fais, dans la forêt, une longue promenade à pied. La journée se passe sans recevoir des ordres et nous demeurons toujours dans la même incertitude du lendemain.
9 octobre 1917. Pont-Ste-Maxence (Oise). Me revoilà habitué à une vie nouvelle, pas très agréable parce que vie d'inaction, oisive et aussi pleine d'incertitudes. Enfin, cruelle à cause de l'absence totale de nouvelles. Depuis notre départ de Mont-St-Père, en effet, aucune lettre ne parvient à la section. Temps affreux, pluvieux, froid. Je fais, malgré ce temps, quelques promenades soit en ville, soit dans la forêt. Les conducteurs sont demandés par le parc où ils sont employés à des corvées diverses.
10 octobre 1917. Pont-Ste-Maxence (Oise). Il ne pleut pas, mais il ne fait pas bon du tout. Un volumineux courrier parvient à la section et j'ai, enfin, le plaisir d'avoir des nouvelles de ma famille. Je connais ainsi les détails de la rentrée de mon deuxième enfant, Marius, qui, pour la première année (il a 9 ans) entre au collège de Draguignan. Je suis bien aise d'aprendre qu'après une séparation assez pénible avec sa mère, l'enfant paraît s'habituer. Et d'ailleurs, sa soeur Claire qui, elle, rentre en pension également à Draguignan pour sa sixième année et qui a l'expérience de l'âge, apportera au frère son réconfort et ses conseils. Je fais une promenade le matin en forêt et l'après-midi, à la popote, l'on joue aux cartes afin de tuer le temps.
11 octobre 1917. Pont-Ste-Maxence (Oise). Debout à 5 h 1/2. Je dois conduire les conducteurs se rendant en corvée au parc (cette conduite se fait par roulement entre gradés et c'est mon jour). Il fait assez beau temps, quoique froid. A 11h, je retourne au part et 2 fois l'après-midi j'accomplis cette courte mission. Toujours rien de nouveau sur notre sort futur. Promenade dans le bois, parties de cartes, tel est mon passe-temps.
12 octobre 1917. Pont-Ste-Maxence (Oise). Temps pluvieux et froid. Nous sommes toujours dans l'attente de savoir ce que l'on va faire de nous ! Je reste donc dans l'oisiveté, accomplissant de longues promenades dans les bois.
13 octobre 1917. Pont-Ste-Maxence (Oise). Il fait un grand vent la nuit et la pluie tombe par rafales. Le matin, le temps se remet, tout en demeurant froid et avec un ciel souvent menaçant. Toujours la même situation d'attente. Le courrier m'apporte chaque jour des nouvelles de ma famille ce qui est fort appréciable lorsqu'on le vit de si loin des siens. Rien à faire... je continue des promenades dans le bois. Le soir, au moment de dîner, un ordre parvient à la section : nous quittons Pont pour aller à Versailles y prendre des camions neufs pour, de là, les conduire à Meaux, au parc de l'endroit qui les transformera en camions routiers et ensuite retourner au front. Cet ordre me fait plaisir comme d'ailleurs à tous dans la section, car il nous permet d'espérer la reconstitution de la 91 avec le même personnel, un matériel neuf et destiné à un travail semblable à celui fait par nous jusqu'ici.
14 octobre 1917. Départ de Pont pour Versailles, via Paris. Debout de bonne heure. Chacun prépare son sac pour être prêt à partir l'après-midi. Il fait beau temps. A 3 h 45 nous quittons Pont-Ste-Maxence par le train et nous débarquons gare du Nord à Paris vers 6h du soir. Il fait nuit. Il y a foule au dehors. Il est difficile de trouver un taxi pour nous faire conduite avec les colis, divers fusils dans une chambre d'hôtel de la Cité Bergère où je désire aller passer la nuit, ne devant quitter Paris pour Versailles que le lendemain à 8h du matin. Après avoir dépose mes bagages à l'hôtel, je quitte mes camarades pour venir par le métro aux Invalides. De là, à pied, je me rends rue St Dominique où, encore une fois, je ne trouve pas M. B., un ami qu'il m'eût été agréable de rencontrer. Il a déménagé rue de Labourdonnais, où je me rends sans plus de succès d'ailleurs. Il me reste à aller dîner, ce que je fais au bouillon Duval de "La Madeleine". A pied je rejoins ensuite mon hôtel, j'écris ma lettre journalière et me mets au lit. Journée de beau temps.
15 octobre 1917. Arrivé à Versailles. Debout à 6h. Une heure après, je suis dehors avec mes camarades, tous chargés et venons à La Bourse prendre le métro qui nous conduit gare des Invalides. Rendez-vous a été donné là pour 8 heures à tous les conducteurs que l'officier a laissé libres depuis l'arrivée à Paris. 8 h 1/2, nous montons dans le train Paris - Versailles où nous débarquons 3/4 d'heure après. Sur la place devant la gare, attente de plus de 2 heures, l'officier étant allé aux renseignements. Enfin, il arrive et nous sommes conduits dans une caserne de cavalerie, depuis longtemps occupée par des conducteurs du service automobile. J'en ressors pour aller déjeuner dans un restaurant et aussi chercher une chambre, car les lits de la caserne sont.... habités par de petites bêtes fort dégoutantes. Je soupe avec l'ordinaire sur le bord du lit et ensuite je suis libre jusqu'au lendemain matin 6h. Je regrette qu'il fasse nuit ce qui m'empêche de visiter "le château" et je viens demander à une brasserie l'hospitalité quelques instants. Après 9h, il est interdit aux militaires de se trouver dehors. Aussi, avant cette heure-là, suis-je rentré et, peu après, me mets au lit. Temps variable, brouillard, pluie et enfin très beau.
16 octobre 1917. Versailles. Avant 6h, je suis levé et me rends après à la caserne. Il fait froid. Venu en détachement à l'avenue de Paris, il nous est remis 21 camions Ariès neufs et cela à la satisfaction de tous, car aucun de nous n'aime de cette vie de caserne. Aht, certes non ! Meiux vaut la vie au grand air. Je passe la journée en formalités de prise de possession du susdit matériel. COmme la vielle, je viens à la brasserie le soir. J'y rencontre un ami d'enfance, Elisée Simon, avec lequel je m'entretiens avec plaisir. Il est, comme moi, brigadier dans le service automobile.
17 octobre 1917. Versailles. Même travail que la veille, c'est-à-dire que, tous, nous venons aux camions, avenue de Paris. C'est sur cette avenue que sont alignées des milliers de voitures neuves, prêtes à partir au fur-et-à-mesure des besoins des armées. Le temps est beau. Je demande et obtiens la permission de venir à Paris où, par le train, j'arrive vers onze heures. Je dois attendre 4 h 1/2 du soir pour rencontrer la personne que j'ai manquée deux fois déjà : M. le capitaine Barberis avec lequel je m'entretiens quelques instants. Après quoi, je reprends le train pour Versailles où je suis de retout à 7h. Je vais dîner aussitôt. Dans Paris, j'ai promené et le beau temps aidant, j'ai constaté partout une grande affluence de monde considérable. Quelle animation dans ce grand Paris !
18 octobre 1917. Départ de Versailles pour Meaux. C'est ma dernière nuit à Versailles. Nous devons, en effet, quitter cette ville à 9h du matin pour venir en convoi à Meaux, ainsi que je l'ai expliqué précédément. Il a plu dans la nuit et il pleut encore pendant que nous faisons placer les camions en file, prêts à démarrer vers Meaux. Après quoi, toute la section est rassemblée et, en armes, l'on manoeuvre en vue de la présentation au commandant du parc de Versailles. Ah ! cette manoeuvre d'automobilistes ! Elle est risible, tant il y a peu d'ensemble dans le maniement d'armes, mais il pleut et dans la boue nous stationnons longtemps ainsi rassemblés, lorsque enfin le commandant passe rapidement et nous renvoie aux camions, à notre grande satisfaction. Un cvoue de siffler, les moteurs tournent et les 21 camions, voiture remorque (pour la cuisine), voiture de tourisme pour l'officier, ainsi que le complément de conducteurs nouveaux, pris au dépôt. La section complète s'ébranle et sort de Versailles. La pluie a presque cessé de tomber. Nous stoppons vers 11h à Choisy-le-Roi où nous déjeunons dans un restaurant. Reprenant la route à 1h, nous venons par Noisy-le-Grand, Lagny à Meaux. Il repleut. C'est une ballade charmante que nous avons accomplie autour de Paris, dont nous sommes maintenant éloignés de 45 kilomètres à peine. Dîner au restaurant, je viens ensuite coucher dans un hôtel meublé avec un billet de logement.
19 octobre 1917. Meaux (Seine-et-Marne). J'ai fort mal dormi dans cet hôtel et je me promets de n'y plus retourner, bien que mon billet de logement soit valable pour plusieurs jours. Quelle boite !! La matinée, les conducteurs sont rassemblés à leurs camions pour en prendre possession. Quelques-uns sont conduits au parc, d'autres roulent l'après-midi pour un transport de briques et j'accompagne des derniers. Il fait froid, déjeuné et dîné dans un restaurant. Le soir, j'installe mon lit avec 2 camarades dans une maison d'habitation où toute la section se trouve cantonnée, toutes nos affaires, lits, cantines, etc., ayant été rapportées de Pont, ici, par des camions.
20 octobre 1917. Meaux (Seine-et-Marne). Levé tard dans ce bon cantonnement où je me plais au milieu de tout mon "barda". Il y a un fort brouillard le matin que le soleil réussit à faire disparaître, ce qui fait place à un temps superbe. Je n'ai rien à faire, ou à peu près et passe mon temps à promener à travers la ville, puis au parc automobile où je revois bien des personnes connues lors de mon séjour ici, l'année 1916. Dîné le soir avec l'un d'eux, le sergent Porrier, mon voisin de chambre à l'hôtel.
21 octobre 1917. Meaux (Seine-et-Marne). Même temps de la veille, c'est-à-dire brouillard, puis beau temps. Il est délivré des permissions de 24h et ceux qui ont leur domicile ou famille à Paris ont le bonheur de revoir ainsi les leurs. Je suis de ceux auxquels il n'y a que la permission de détente qui puisse être accordée et celle-là ne vient que chaque période de 4 mois ! Ce qui est long. Et en ce moment, le tour qui devait être commencé depuis le 1er octobre ne l'est point encore, en sorte que je crains que mon prochain tour de départ ne soit retardé. Dans l'après-midi, avec un camarade, j'accomplis une longue promenade, partout il y a affluence de promeneurs, il fait si beau !
22 octobre 1917. Meaux (Seine-et-Marne). Le soleil boude, le temps reste brumeux. QUelques camions se rendent chaque jour en corvée, mais aucun gradé ne les accompagne et nous sommes, ainsi, inoccupés.
23 octobre 1917. Meaux (Seine-et-Marne). Journée pluvieuse, au cours de laquelle je ne quitte pour ainsi dire pas le cantonnement. Quelle vie de paresseux je mène ici ! Levé assez tard, toilette et soins du ménage dans la petite chambre, déjeuner, petite promenade, réception du courrier après lequel j'écris, dîner et sortie dans un café de la ville où nous demeurons jusqu'à la fermeture (9h), pour ensuite venir nous mettre au lit.
24 octobre 1917. Meaux (Seine-et-Marne). Journée en tous points semblable à celle de la veille, tant en ce qui concerne le temps que la vie en général. La transformation que le parc fait subir à nos camions est activée et tout fait supposer que le départ de la section est prochain.
25 octobre 1917. Meaux (Seine-et-Marne). Temps moins mauvais l'après-midi. Quelques camions, seulement, sont occupés avec une équipe de nos conducteurs, pour exécuter des transports audit parc.
26 octobre 1917. Meaux (Seine-et-Marne). Temps brumeux, froid. Les journées s'écoulent, pour moi, sensiblement les mêmes. J'apprends que mon frère se trouve à Rueil, aussi je demande la permission du dimanche 28 pour aller le voir. Depuis le début de la guerre, c'est la première fois que nos services nous placent si près l'un de l'autre.
27 octobre 1917. Meaux (Seine-et-Marne). Il ne pleut pas, mais le temps est maussade. La matinée se passe en soins d'hygiène, bain, etc. et l'après-midi m'est remise la permission d'aller à Rueil. Le train express qui doit passer à Meaux à 5h a un retard de 40 minutes. Il est bondé de voyageurs, je dois rester debout dans le compartiment. 6 h 1/2, me voici à Paris où, avec un camarade, je vais dîner au restaurant, puis nous venons ensemble au "Bataclan" assister à une revue. Minuit, je couche à l'hôtel de la Cité Bergère. Il fait beau temps.
28 octobre 1917. Meaux (Seine-et-Marne). Couché dans un bon lit, je fais la grasse matinée. Sitôt levé, je cours au métro pour venir à la Porte Maillot, monter dans le tram de St Germain qui, demi-heure après, me dépose à Rueil devant la caserne où mon frère m'attend. Effusions, court conciliabule et, avec lui cette fois, je remonte dans le train pour venir à Paris. Le temps est brumeux, froid. Nous déjeunons avenue de la Grande Armée dans un "bouillon Chartier" et, à l'aide du métro, venons aux Invalides. Là, je parcours les mêmes salles que, seul, je visitais quelques semaines plus tôt. Remarqué l'avion de Guynemer qui est célébré par le nombre d'appareils ennemis qu'il a abattus. Il y a une foule toujours grossissante. A pied, nous visitons les Champs Elysées, la place de la Concorde, les Tuileries, le Louvre, rue Royale, l'Opéra, enfin les grands boulevards (j'oubliais la visite au Trocadéro et au Champ-de-Mars - Tour Eiffel). Il est 6h, nous sommes tous les deux fatigués de marcher. Nous prenons un apéritif à la terrasse d'un café. Allons dîner "bouillon Duval", après nous être faits photographier ensemble. Sitôt après le dîner, nous nous séparons. Mon frère pour retourner à Rueil, moi à Meaux, tous deux heureux d'avoir pu passer ainsi une bonne journée. 9 h 1/2, j'arrive à mon cantonnement pour m'endormir bien vite.
29 octobre 1917. Meaux (Seine-et-Marne). Temps assez beau, les hommes déménagent le cantonnement pour s'installer face à la mairie de Meaux, l'endroit où nous étions installés étant réservé à des troupes d'infanterie devant venir en repos. Les gradés et le bureau restent installés là où ils se trouvent.
30 octobre 1917. Meaux (Seine-et-Marne). Temps maussade, par instants meême il pleut. La popote des gradés se trouve maintenant dans un petit café où notre cuisinier vient préparer nos repas. En raison de l'incertitude dans laquelle nous sommes quant au départ de la section de Meaux, notre officier décide de faire partir les premiers permissionnaires du tour et j'en suis enchanté, car je puis ainsi espérer mon tour de départ relativement assez proche.
31 octobre 1917. Meaux (Seine-et-Marne). Suivant un ordre du parc à la disposition duquel nous sommes, un gradé devra chaque jour accompagner les camions et les conducteurs qui se rendent en corvée. Je suis désigné pour assurer ce service. Levé à 6h, je rassemble camions et hommes pour venir à 7h au parc. Là, des ordres divers sont donnés. Nos camions chargent des débris de briques aux abords d'une tuilerie, déchets d'une scierie, ou machefer, le tout destiné à la construction de chemins à l'intérieur des parcs. Voyages de courte durée, mais chargements difficiles par suite de la pénurie des matériaux, par suite travail ennuyeux pour tous les chargeurs. Tous nous rentrons au cantonnement pour déjeuner, retournons même travail l'après-midi et, à la nuit, la journée finie, chacun prend le repos. Un de mes camarades gradé étant parti en permission, je le remplace dans son service et cela va m'occuper, ce dont je ne me plains pas, trouvant de la distraction dans le travail. Temps brumeux.
1er novembre 1917. Meaux (Seine-et-Marne). J'accomplis le même travail que la veille, passant tant le matin que le soir dans les divers détachements où sont occupés camions et conducteurs de la 91. C'est bien jour férié, mais point pour nous. Je remarque la foule se rendant soit à l'église, ou au cimetière à l'occasion de l'anniversaire que l'on célèbre aux morts et ma pensée se reporte vers ceux qui ne sont plus : ma fille Marguerite, décédée bien jeune hélas !, mon frère, mon beau-frère. Le brouillard ne se dissipe pas de la journée. Température douce.
2 novembre 1917. Meaux (Seine-et-Marne). Je reste au cantonnement la plupart du temps dans la journée, n'ayant pas à rouler et le temps étant pluvieux. Des troupes d'infanterie viennent s'installer dans notre cantonnement. Même température que la veille, pluie fine par instants.
3 novembre 1917. Meaux (Seine-et-Marne). Le parc automobile désirant sans doute mettre à profit notre présence ici, demande à la section le maximum d'hommes disponibles pour accomplir des corvées diverses. Les conducteurs ne sont pas contents, car ils préfèreraient conduire leurs camions au lieu d'être transformés en chargeurs ou terrassiers. Quant aux gradés, ce service nous met dans l'obligation de trotter la plus grande partie de la journée. Je suis de jour. Une troisième fois, nous changeons de cantonnement dans Meaux. Fort heureusement, le bureau, la chambre des gradés ne bougent pas et nous continuons ainsi de vivre au même endroit. Temps brumeux, sans soleil.
4 novembre 1917. Meaux (Seine-et-Marne). Dimanche. Il y a travail la matinée seulement. Mon frère me rend visite et vers 8h il arrive à ma chambre. Je lui fais visiter la ville. Il prend les repas de midi et du soir à la popote. Avec lui, la journée me paraît très courte et agréable. Le soir, à 8h, je l'accompagne à la gare où il prend le train pour Paris, rejoignant son cantonnement à Rueil. Temps brumeux, toujours sans soleil.
5 novembre 1917. Meaux (Seine-et-Marne). Je suis de jour. C'est-à-dire que j'assure le travail des camions et hommes de corvée, suivant la répartition qui en est faire par les délégués du parc aux deux rassemblements du matin et de l'après-midi. Le temps est brumeux, nous sommes toujours sans nouvelles de notre départ d'ici.
6 novembre 1917. Meaux (Seine-et-Marne). Journée au cantonnement, le temps est assez beau le matin, il pleut l'après-midi. Une bonne nouvelle que je transmets aussitôt à ma famille : ma prochaine permission de détente de 10 jours est augmentée d'une permission supplémentaire de 13 jours accordée à tous les R.A.T. Je partirai donc pour une permission dont la durée me permettra de m'occuper des affaires de la maison, ce que je n'ai pas fait depuis le jour de la mobilisation, jour déjà bien lointain, 39 mois !
7 novembre 1917. Meaux (Seine-et-Marne). Debout de bonne heure pour conduite camions et corvée au parc où l'on continue de nous employer. L'incertitude du lendemain devient iminante. D'autant plus que des troupes sont envoyées en Italie où s'exerce une pression austro-boche. Nous sommes à nous demander si notre formation ne sera point désignée pour aller là-bas et cette perspective, à la veille d'obtenir ma permission réglementaire, n'est point pour me plaire. Brouillard, pluie légère.
8 novembre 1917. Meaux (Seine-et-Marne). Même temps humide et légèrement pluvieux. Je reste la plus grande partie de la journée au cantonnement.
9 novembre 1917. Meaux (Seine-et-Marne). Suis de jour et l'on continue les corvées au parc. De plus en plus, nous sommes surpris de ne point recevoir d'ordre de départ. Irai-je en permission, ou bien un ordre brutal va-t-il me faire partir pour l'Italie ? Question que je me pose sans cesse, non sans anxiété. Temps brumeux.
10 novembre 1917. Meaux (Seine-et-Marne). Jour de marché. Il pleut beaucoup toute la journée : c'est vraiment un temps détestable. C'est le fromage de Brie qui forme le principal trafic de ce marché. Aussi, désireux de faire une surprise agréable à ma femme, j'achète un de ces grands fromages que j'emballe dans une corbeille spéciale pour l'expédier par colis postal.
11 novembre 1917. Meaux (Seine-et-Marne). Mettant à profit le voisinage de Paris et aussi la présence de mon frère tout près, c'est-à-dire à Rueil, je pars le matin de Meaux pour aller, par train, jusqu'à Paris et me rends à Rueil dans les mêmes conditions qu'il y a 2 semaines. Mon frère est surpris de ma visite, n'ayant pas reçu ma carte l'informant de mon projet. Tous deux revenons à Paris où, après le déjeuner, nous allons au Vélodrome d'hiver assister à de très intéressantes courses. Nous dînons dans les environs de la gare de l'Est et nous séparons à 8h pour, chacun de nous deux, rejoindre nos cantonnements respectifs, heureux d'avoir pu passer un troisième dimanche ensemble. Temps variable, exempt de pluie et frais.
12 novembre 1917. Meaux (Seine-et-Marne). Un brouillard très épais et froid recouvre la ville. Je me lève tard, n'ayant pas à assurer mon service de jour. Le temps est très beauè l'après-midi, le soleil ayant dissipé le brouillard.
13 novembre 1917. Meaux (Seine-et-Marne). Même temps que la veille, mais plus froid, il a gelé au cours de la nuit. J'accomplis diverses courses, telles que ravitaillement d'essence. Le temps passe ainsi plus vite. Je reçois des nouvelles inquiétantes sur ma femme qui, prise dans la nuit d'un malaise, s'est évanouie et a fait une chûte sur le placher. La cause de ce malaise je la devine : c'est du surmenage. Ma femme plie sous le poids du travail et des trop lourdes charges que ma longue absence a crées pour elle ! Hélas, que ne puis-je m'en rapprocher définivement. Mais à celà il n'y faut point penser encore, la France ayant trop besoin de ses hommes.
14 novembre 1917. Meaux (Seine-et-Marne). Toujours du brouillard. Le 2ème gradé qui couche dans notre chambre commune à 3, part dans la nuit pour aller en permission. Je demeure donc seul et assure le service, d'ailleurs léger, des corvées au parc. De nombreuses troupes s'installent dans Meaux et les environs. Elles viennent là au grand repos.
15 novembre 1917. Meaux (Seine-et-Marne). Et le brouillard ne se dissipe pas. Deux fois par jour, ainsi que je l'ai expliqué précédemment, je conduis les corvées. Les nouvelles de la santé de ma femme ne sont point alarmantes. Toutefois, elles me la montrent très faible et obligée de garder le lit par ordre du médecin.
16 novembre 1917. Meaux (Seine-et-Marne). Journée semblable à la précédente, tant comme travail que pour le temps. La veille, dans la soirée, est arrivé retour de permission le brigadier, ce qui va me permettre de partir à mon tour. J'annonce cette nouvelle à ma femme, espérant la réconforter par la perspective de ma venue auprès d'elle.
17 novembre 1917. Meaux (Seine-et-Marne). Même travail et aussi toujours du brouillard. Marché très animé, comme les précédents que j'ai déjà vus ici. Nous sommes toujours sans aucune nouvelle de la nouvelle affectation de la section, ce qui nous paraît de plus en plus surprenant.
18 novembre 1917. Meaux (Seine-et-Marne). En revenant, le matin à 8h, de conduire la corvée comme à l'ordinaire, j'aperçois mon frère qui, me supposant encore à Meaux, vient passer la journée avec moi. L'après-midi avec lui et un camarade brigadier, nous allons en auto visiter le champ de bataille de la Marne. Le temps est très gris, froid, ajoutant une plus grande tristesse à la vue des nombreuses tombes éparses un peu partout dans la campagne et sur les bords des routes. Après le dîner, j'accompagne mon frère au train, dont je pourrai ainsi donner des bonnes nouvelles en allant en permission, le lendemain.
19 novembre 1917. Départ de Meaux en permission de détente et agricole. Sitôt levé, je prépare mon départ. Pliage du lit, effets divers dans la cantine, achats de provisions de bouche pour la route, etc. Je prends le repas de onze heures à la popote. Sitôt après, serrement de mains à chacun des membres et je me rends à la gare de Meaux. Le temps est brumeux. 1h, j'embarque dans le train des permissionnaires qui, 1/2 heure après, me dépose à la gare régulatirce de Vaires-Torcy (la même qu'à ma précédente permission). Le débarquement s'opère dans un terrain clôture au fond duquel se trouve le bureau pour visa des permissions. Chacun se précipite au pas de course vers ce bureau. Le coup d'oeil est amusant. Les silhouettes bleu horizon forment un grand éventail, la course est arrêtée par une chicane de couloirs qu'il faut parcourir lentement. Après le visa, chacun vient monter dans le train qui l'emmène vers le réseau desservant son lieu de permission. J'attends 2h le mien. Enfin, vers 4h, me voilà installé dans un compartiment de 2ème classe et le train part. 6 h 1/2, le train arrive à Corbeil où tout le monde en descend. Je dîne et repart une heure après assis dans un coin de cmopartiment 2ème classe où je suis très bien. Dans la nuit, tout le monde dort. Le train arrive à Lyon avec deux heures de retard sur l'horaire.
20 novembre 1917. En route pour aller en permission. Je n'ai pas eu le temps de me ravitailler à Lyon. Pas même pu boire le classique jus du matin. 8 h 1/2, le train repart pour Marseille. La marche de ce train, bien que rapide, n'est pas parfaire, puisque nous prenons encore du retard. Arrivé en gare de Marseille à 3 h 1/2 de l'après-midi, changement de train. Celui qui m'est indiqué est arche bondé. Force m'est d'y monter car il n'y en a point d'autre. Je ne puis aller au buffet pour m'y ravitailler. Il fait mistral et ce vent est plutôt froid. Le train sort lentement de la gare pour s'arrêter non loin, entre les gares et cela nous propmet une marche des plus lentes. J'avais espéré pouvoir dîner chez moi, mais il ne sera point ainsi. Le train, dans la nuit, marque des arrêts interminables un peu partout. Il y a, dit-on, devans nous de nombreux trains de troupes anglaises se rendant en Italie et ces trains, paraît-il, encombrent la ligne. Je ne dors pas, la nuit se passe sans que notre train ait atteint même Toulon !
21 novembre 1917. En route pour aller en permission. Notre train continue sa marche de lenteur. Chacun se lamente, mais que faire ? Je n'ai pas dîné la veille et dans les petites gares où nous arrêtons il n'y a rien. Quelle ceinture ! Bien des voyageurs mettent à profit les arrêts dans la campagne pour aller demander à manger dans des fermes. Je n'ose pas imiter cet exemple, par crainte de manquer ensuite le train. Vers midi, notre train arrive à Toulon où il est garé, afin de laisser passer deux rapides 1ère classe, interdits aux militaires. Voici 20 heures de wagon, pour parcourir 70 kilomètres !! Je déjeune assez mal. 2h de l'après-midi, le train démarre et recommence sa marche... lente. Quand donc arriverons-nous à destination ? Chacun se pose cette question. A partir de Carnoules, toutefois, la marche du train est moins lente. Néanmoins, ce n'est qu'à 2 heures de la nuit que je débarque à St Raphaël, ayant mis 40 heures pour venir de Marseille, alors qu'en temps normal il faut 3 heures. C'est, je crois, un record !
22 novembre 1917. Arrivé en permission à St Raphaël. N'ayant pu prévoir mon heure d'arrivée, je n'étais point attendu dans la nuit et je trouve la maison plongée dans le sommeil. Je dois appeler pour qu'elle me soit ouverte. J'y trouve ma femme languissante et très amaigrie, fort faible donc. Suis heureux de me retrouver chez moi, ouf. Je suis fatigué. Dans la journée, je ne sors pas et les miens viennent me voir.
Du 23 novembre 1917 au 16 décembre 1917. En permission. Je mets à profit cette longue permission pour mettre de l'ordre dans mes affaires, ce que je n'avais point fait à mes précédentes. Or, c'était bien nécessaire, car c'était dans mes écritures, mes comptes, un véritable désaroi. Pendant trois dimanches consécutifs, je vais en auto à Draguignan y voir mes deux enfants aînés, Claire et Marius. Ce dernier au collège depuis 2 mois est en santé très prospère. Mes 2 anfants, d'ailleurs, sont en bonne santé et je voudrais pouvoir ici en dire autant sur ma femme. Le temps est pluvieux. Il a été très beau la plupart des jours de ma permission, à peine un peu de pluie et du vent pendant 3 jours.
17 décembre 1917. Retour de permission. 3 h 1/2 du matin, je saute du lit et fais mes adieux à ma femme. J'embrasse mon jeune enfant qui, dans son petit lit, dort heureux. J'absorbe un café au lait et à 4 h 1/2 je monte dans mon train. Il pleut. Je monte en 1ère classe et le train part. Ma femme est dans son lit qui pleure, sans doute. J'ai le coeur serré, mais ne m'abandonne pas à la douleur. Le train s'arrête à toutes les gares, cependant la marche est régulière et j'arrive en gare de Marseille à 11 heures. Je sors, désireux de quitter cette ville le lendemain. Il pleut à torrents et je déjeune sous un appenti à l'extérieur, puis m'achemine en ville à pied, malgré la pluie. Je glisse et tombe sur un trottoir, sans trop de mal que pour mon bras foulé. APrès quelques visites, et arrêts devant les magasins pour m'abriter de la pluie de la grêle qui font rage, je viens en tram chez mon ami Pascal, en permission. Là, sitôt après le dîner, nous retournons dans Marseille assister tous deux "aux Variétés" où l'on joue une très amusante revue qui me fait bien rire.
18 décembre 1917. Retour de permission. Levé à 7 h 1/2, le temps est aussi détestable que la veille, c'est-à-dire qu'il pleut sans discontinuer. Vers 9h, nous allons au Vieux Port déjeuner avec des coquillages. Après quoi, je prends congé de mon camarade, pour venir à la gare et me caser dans le train partant à midi 50. Fort heureusement je me trouve dans un compartiment chauffé, car il fait froid. Jusqu'à Montélimar, c'est la pluie et à partir de là c'est l'apparition d'un grand manteau blanc. Nous arrivons à 10 heures à Lyon. QUelques heures de retard. Il fait très froid. Juste le temps de prendre un café et l'on repart. Le compartiment est au complet et nous reposerons ainsi plutôt mal que bien.
19 décembre 1917. Arrivé à Meaux (Seine-et-Marne). Tout au long de la route, j'ai aperçu de la neige. Le train arrive à Corbeil à 10h. Là, changement de train. Il gèle. La neige elle-même se glace. Nous repartons pour la gare régulatrice Vaires-Torcy où je descends vers 1h. C'est dans un train de civils que je remonte, pour venir à Meaux vers 2 h 1/2. La température est glaciale. J'apprends bien vite que ma section a quitté Meaux le matin même pour aller à Nancy? Quelle tuile pour moi ! J'avais, en effet, décidé de demander et j'espérais obtenir, de demeurer affecté au parc automobile. L'officier commandant ce parc est absent et je me trouve donc dans l'obligation de rejoindre ma section à Nancy. Je vais louer une chambre pour m'y reposer la nuit. Un peu de toilette et je dîne là où se trouvait notre popote. Je suis surpris et gêné par le grand froid qui règne, alors que j'ai quitté à St Raphaël une température et un soleil si bons !
20 décembre 1917. Meaux (Seine-et-Marne). J'ai mal dormi, ayant froid. Le matin je me sens même mal à mon aise. Cette indisposition me contrarie car, me dirigeant vers l'Est de la France, j'aurai sans doute plus froid encore. Je déjeune légèrement, puis vais marcher au dehors. J'ai décidé de partir le soir par l'express de civils à 9h, cela fin d'arriver à ma destination de jour, où il me sera plus facile de retrouver ma section. Je dîne le soir d'un même repas léger qu'à midi. J'ai très froid. Coliques, mal de tête, tels sont les malaises qu'il me cause. Je viens à la gare et monte dans l'express qui passe à Meaux exactement à l'heure prévue par l'horaire. Trouvant un compartiment vide, je peux m'y allonger et même dormir. D'autant que ce compartiment étant chauffé, l'on est au mieux.
21 décembre 1917. Arrivé à Nancy (Meruthe-et-Moselle). Dans la nuit, des voyageurs sont montés m'obligeant à prendre la position d'assis. Je ne suis pas peu surpris de constater l'obscurité complète dans tout le train et, de même, dans les gares un éclairage restreint et discret. Cela, sans doute, pour éviter le repérage par les avions ennemis. 7h du matin, j'arrive à Nancy. Quel saut ma section a fait !! Je me dirige vers l'habitation du cuisinier de ma formation, en vue d'annoncer la nouvelle à sa femme de la venue prochaine de son mari. Je laisse là mes bagages et vais au parc automobile, situé hors de la ville. Ma section n'est pas arrivée encore. Je me retire pour venir déjeuner dans un restaurant. Après quoi, je promène un peu partout afin de connaître la grande ville de Lorraine. Elle est coquette, la place Stanislas est remarquablement belle, encadrée par des monuments remarquables et grilles en fer forgé riches. Le quartier de la gare a été très éprouvé par le bombardement de grosses pièces ou bombes d'avions. Par ailleurs, de ci de là, quelques maisons sont détruites. En divers endroits, de multitudes d'ouvriers travaillent à la construction d'abris souterrains. Nancy est très souvent visité par les avions ennemis qui ont, d'ailleurs, causé déjà de grands dégâts. L'après-midi, nouvelle visite au parc. Ma section n'est toujours point arrivée. Il fait extrêmement froid. La neige a, en grande partie, disparu. Mais il gèle à 7 ou 8 derés sous zéro. Dès l'ouverture des cafés aux militaires (5h), je m'engouffre dans une brasserie pour m'y réchauffer. Je me sens bien mieux que la veille et espère bien que mon indisposition n'aura été que passagère. Après avoir dîné, je viens rue des Petits Bourgeois, où j'ai loué une chambre. Il est 7h et les rues sont presque désertes. Le ciel est clair et j'entends le ronflement de moteurs d'avions français qui font la chasse aux boches de l'air. Nancy n'est qu'à 25 kilomètres des lignes. Il y a quelques instants le tocsin et une sirène ont donné l'alerte et, à ce moment, la plupart des habitants se précipite dans les caves. Moi-même, j'y descends vers 8h, alors que nos 75 éclatent au-dessus de la ville, tirant sur les oiseaux nocturnes ennemis. Lorsque le silence se rétablit, je vais me coucher, alors que d'autres personnes attendent là le signal avertissant que tout danger est conjuré.
22 décembre 1917. Nancy (Meurthe-et-Moselle). J'ai, ma foi, fort bien dormi et, comme je n'ai rien à faire, je me lève très tard dans la matinée. Au cours de la nuit, la sirène et le tocsin sonnèrent une nouvelle alerte, mais je ne bronchais pas de mon lit. Le temps est toujours gris et très froid. Dans l'après-midi, je viens à nouveau au parc automobile où, cette fois, je me fais porter rentrant, vu l'absence de ma section ! Dans la soirée, le cuisinier m'appelle alors que je suis au lit, ma section vient d'arriver à Nancy.
23 décembre 1917. Vandoeuvre (Meurthe-et-Moselle). Debout de bonne heure, je viens au parc me faire porter sortant, afin de pouvoir rejoindre la 91 cantonnée dans un petit village à 2 kilomètres de Nancy, où je la trouve en effet vers 9h du matin. Il fait un froid terrible, le vent en rase campagne est glacial. Le village situé à flanc de colline est difficilement accessible aux voitures, à cause de l'extraordinaire déclivité et aussi de la neige transformée en verglas, où bien des personnes glissent et tombent. Je retrouve mes anciens camarades qui, tous, sont unanimes à me féliciter de la chance que j'ai eue coupant au déplacement Meaux - Nancy. Quatre jours de route, au cours desquels ce fut terrible à cause du froid et des routes glissantes. C'est donc une rude corvée que j'ai évitée du fait que je me trouvais en permission. Je reprends place à la popote. Il y a un officier commandant par interim la 91 (notre officier étant en permission). Nous ne sommes point à Vandoeuvre à titre définitif et l'on attend des ordres. Aussi, les camions restent chargés de leur matériel ou bagages et je loue une chambre dans le village, où les habitants sont affables.
24 décembre 1917. Vandoeuvre (Meurthe-et-Moselle). Tous dans la section sommes sans avoir rien à faire et, d'ailleurs, ils goûtent bien un repos mérité. Je n'ose guère demeurer en dehors tant le froid est vif. Vers le soir, la neige tombe. Je suis monté au haut de la colline où le coup d'oeil sur Nancy est fort beau. Il y a là canons et projecteur pour la défense contre avions.
25 décembre 1917. Vandoeuvre (Meurthe-et-Moselle). Noël. Jour de fête lorsqu'on se trouve dans sa famille, mais de tristesse quand on s'en trouve tant éloigné. Je me lève assez tard. La neige tombe par intermittence. Le sol est glacé et... l'air aussi ! Notre section doit repartir le lendemain et aujourd'hui rien à faire. APrès un déjeuner assez copieux, ma foi, je vais avec mes camarades promener dans Nancy, où je me plais à admirer les belles lignes de constructions modernes. Une chute de neige nous surprend lorsque nous revenons à pied de Nancy à Vandoeuvre et je suis bien heureux, le soir, de retrouver la maison où est la popote qui, chauffée, est bien agréable par le terrible froid qui règne dehors.
26 décembre 1917. Arrivé à Toul (Meurthe-et-Moselle). Debout à 6h. Grand branle-bas pour tous. Nous devons partir à 8h et la mise en route des moteurs est assez laborieuse. Le convoi se forme sans trop d'accrocs et, à 9 h 1/2, il démarre. Je me trouve sur la voiture de tête. Au moment de partir, de nombreuses lettres me sont remises, mais je ne puis en prendre connaissance car il neige et, de plus, obligé d'assurer la marche du convoi. Lentement nous traversons Nancy. Pour en sortir, nous remontons une très longue et rapide côte, puis nous voici engagés sur la route de Toul. Route fort bonne, mais glissante dans les montées, la neige étant transformée en glace. Les camions qui traînent les remorques cuisine et atelier montent après d'innombrables difficultés. Très près de Toul, je fais reformer le convoi auquel manquent lesdites remorques qu'il faut attendre plusieurs heures, alors qu'il neige et le froid est vif. J'en profité pour grignoter quelques provisions qui me sont restées de mon retour de permission. Peu après, la soupe nous arrive par camionnette. Nous faisons tous honneur au bouillon et café chauds. Vers 4h enfin, le convoi au complet rentre à Toul et est conduit dans une caserne de cavalerie. Chacun s'empresse de déposer les effets de couchage et, après avoir dîné, l'on se met au lit. La région traversée est d'un terrain très mouvementé. Ce doit être joli en été, mais par ce temps de neige et de grand froid, zut, ça n'est pas le filon. La route passe à travers la forêt de Haye, le village de Gondreville.
27 décembre 1917. Toul (Meurthe-et-Moselle). J'ai très peu et mal dormi. La nuit était très claire. Sirène et tocsin se font entendre dans la nuit, annonçant le passage d'avions ennemis sur lesquels nos canons tirent beaucoup. Naturellement, je ne bouge pas de mon lit. Même temps que la veille, un peu de soleil, mais si peu et si pâle !! Pas mal de neige et beaucoup de grand froid. NOus attendons un ordre iminent pour aller dans les environs de Toul avec nos camions. Aussi, je ne quitte pas le cantonnement.
28 décembre 1917. Toul. Venue à Royaumeix (Meurthe-et-Moselle). La veille, dans la soirée, nous apprenons que les camions de la section vont tous être disséminés dans les environs de Toul. Il y a six détachements, dont 2 envoyés, chacun avec un brigadier. Je tire au sort et l'endroit qui m'échoit est Royaumeix, petit village sur la route de Verdun. Les préparatifs et le départ, vers 9h, se font sous la neige. Chacun s'en va vers la destination fixée. Le froid est très vif et un vent assez fort nous fouette la neige sur le visage, sensation vive de brûlure, tel est le souvenir de ce voyage qui devrait, normalement, durer 1h mais en dure 3, à cause des routes glissantes. Vers midi, je prends contact à Royaumeix avec le service du génie et avec ceux que nous venons remplacer, tant au travail qu'à leur cantonnement. Après un sommaire déjeuner, nous installons notre literie et sommes fort heureusement dispensés de travailler l'après-midi, car la neige tombe de plus belle. Le cantonnement : une remise où l'on gèle et que le propriétaire me loue ! Une grande table et à côté la cuisine des propriétaires, petits fermiers. COmme nous sommes placés en subsistance au génie, nous touchons nos vivres crues et la femme prépare nos repas, moyennant quelques sous, moyen qui nous permettra de bien manger, sans souci de cuisiner nous-mêmes. Couché de bonne heure, dans la remise vrais glacière, ma foi.
29 décembre 1917. Royaumeix (Meurthe-et-Moselle). Debout à 6h, ainsi que les conducteurs des 5 camions. Avant de sortir l'on boit un bon jus et voici chacun attelé à mettre en route les camions. Grands effrots et difficultés de toutes sortes. Dans la matinée, 3 ont pu partir. Après le repas de 11h, un 4ème tourne, remorqué par 2 autres et le 5ème, ma foi, demeure sur place comme figé ! Rencontre une figure connue, Jean, un de mes ouvriers (magasinier) d'avant la guerre. La neige ne tombe pas, mais celle sur le sol demeure tenace. Je ne quitte pas le cantonnement, au dehors la plus grande partie de la journée pour assurer le départ des camions. Grâce à la présence d'un état-major, il y a du mouvement dans le petit trou d'à peine 300 habitants civils. L'on entend quelquefois le canon tonner. Nous sommes à une dizaine de kilomètres des lignes, mais le secteur est calme et depuis longtemps déjà.
30 décembre 1917. Royaumeix (Meurthe-et-Moselle). La veille, j'avais pris certaines précautions pour protéger les abords de mon lit du froid. Aussi, ai-je mieux dormi. Comme la veille, je me lève à 6h. Le froid est un peu moins vif et le départ de tous les camions du détachement peut s'effectuer normalement. L'après-midi, je monte sur l'un d'eux. Il va charger à la gare de Ménil-la-Tour et porter son chargement dans la forêt La Reine. Il fait très froid sur le camion. La campagne, toute blanche de neige, est fort triste.
31 décembre 1917. Royaumei (Meurthe-et-Moselle). Et me voilà habitué à un nouveau train de vie. Levé chaque jour à 6h, boire le jus. Je pars, avec un camion, dans une autre direction de la veille prendre chargement à la gare de Manoncourt pour le transporter route de Tremblecourt. Déjeuné à 11 h 1/2, départ des camions avec ou sans moi une heure après pour, à leur retour, établir un état de travail de la journée. Le téléphoner à mon unité et enfin prendre les ordres du génie pour le lendemain. Venir dîner et faire la veillée devant un bon feu que les conducteurs alimentent. Il y a, parmi ces derniers, un amiénois, au caractère très gai, il nous fait souvent rire. Le temps est gris, froid, sans chute de neige.
1er janvier 1918. Royaumeix (Meurthe-et-Moselle). J'étais prévenu, la veille, que les camions n'auraient pas à rouler ce jour-là. Aussi, fait-on la grasse matinée dans le détachement. L'un des conducteurs, type débrouillard, fait griller le pain et nous mangeons des tartines beurrées avec le jus du matin. L'officier commandant la section visite mon détachement et j'ai plaisir à entendre l'officier du génie, pour lequel je travaille, qu'il est satisfait de nos services. Il fait froid et nous passos la journée au coin du feu. Ce premier jour de l'an n'est pas plus fêté que celui de Noël !
2 janvier 1918. Royaumeix (Meurthe-et-Moselle). La température est plus douce, aussi le départ des camions s'en trouve bien facilité. Toutefois, divers incidents dans la journée ralentissent le travail. Deux camions, en effet, glissent sur la route et s'en vont dans le fossé d'où on les retire avec peine. Un troisième met le feu au moteur, après un court-circuit dans l'allumage électrique. C'est donc une journée de guigne. Enfin, le soir, tous les camions se trouvent réunis devant le cantonnement.
3 janvier 1918. Royaumeix (Meurthe-et-Moselle). Le ciel est clair et le soleil daigne apparaître. Le camion ayant flambé la veille ne part pas et les mécanos de la section viennent procéder à la réparation. Les avions mettent à profit ce beau temps pour faire des reconnaissances. C'est tantôt les nôtres, tantôt ceux des boches qui sont bombardés par les batteries terrestres. Malgré le beau temps, le froid reste vigoureux. 4 janvier 1918. Royaumeix (Meurthe-et-Moselle). Ciel, quel froid ! D'après les dires de chacun, il doit bien faire 20 degrés sous zéro !! Avec beaucoup de mal, un camion peut être mis en route. Les autres, malgré tous les efforts, restent sur place au cantonnement qu'ils ne quittent pas de la journée. Un conducteur rentre de permission. Il est coiffeur de son état et je mets ses services à contribution en me faisant couper les cheveux ras.
5 janvier 1918. Royaumeix (Meurthe-et-Moselle). Toujours le même temps froid et sec. Un camion peut être mis en route. Je fais sabler la route et successivement prends à la remorque tous les autres camions pour les emmener dans une descente qui facilite le départ du moteur. J'emploie, ainsi, toute la matinée en manoeuvres diverses et, l'après-midi, tous les camions peuvent rouler. Toutes les routes sont de glace et les gens circulent avec difficultés. Des glissades nombreuses provoquent des chutes. Il faut marcher avec précaution.
6 janvier 1918. Royaumeix (Meurthe-et-Moselle). Dimanche. Lever tardif pour tout le détachement. Travaux de graissage et d'entretien des véhicules jusqu'à l'heure du déjeuner, puis repos complet l'après-midi. Je fais une promenade pédestre dans la campagne, plus par hygiène que pour plaisir, car le froid est très vif.
7 janvier 1918. Royaumeix (Meurthe-et-Moselle). Dans la nuit, la température s'est radoucie et au matin, il pleut. Cela dure jusqu'au soir. Aussi, la neige fond à vue d'oeil, transformant les routes en bourbiers. Les camions du détachement accomplissent, sous la conduite de leurs conducteurs, le travail ordinaire. Ces derniers se mouillent. L'un d'eux, notamment, dont le véhicule glisse dans un fossé ! Je ne quitte le cantonnement que pour mon service, tant il fait mauvais au dehors.
8 janvier 1918. Royaumeix (Meurthe-et-Moselle). Changement de décor : toute la nuit, la neige tombe et, au matin, une couche épaisse en recouvre le sol. La température est, toutefois, assez XXX XXX qu'il gèle. Encore un camarade dans le fossé ! Décidemment, chaque jour en voit un glisser ainsi sur le bord de la route. Toute la journée, le canon tonne fort. Le bruit court que notre artillerie prépare une attaque. Un de mes camions ne rentre pas. Dans un tournant, le conducteur, jeune imprudent, allant trop vite l'a fait déraper et se jette sur un arbre. Je me rends sur les lieux et, à l'aide d'un camion, puis d'un deuxième, nous le tirons de la facheuse position, après 3 heures d'efforts sur la route glacée et sous la neige qui tombe. Il est 7h lorsque, par une nuit noire, tous nous regagnons notre cantonnement. Depuis l'arivée de la section dans la région de l'Est, nous étions placés à la 8ème armée et voici qu'elle est remp^lacée par la 1ère armée et cela suffit pour causer du mouvement. J'apprends que la section va se retrouver en entier à Royaumeix, sauf un détachement nouveau à former. Vais-je rester ici, ou déménager encore ?
9 janvier 1918. Royaumeix (Meurthe-et-Moselle). Il neige. Le frois est très, très vif et il en sera ainsi toute la journée. Il est presque impossible de mettre les moteurs en route. Toutefois, l'après-midi, après bien des efforts, presque tous marchent. Que de manoeuvres, remorques pour en arriver là ! Après le souper, chacun se couche rapidement. Nous ne pouvons parvenir, en effet, malgré un bon feu, à chauffer notre remise, fort mal fermée.
10 janvier 1918. Royaumeix (Meurthe-et-Moselle). La température est redevenue assez douce. La neige fond, c'est le déger continu. La neige a entièrement disparu. Je m'occupe du service des camions, tout comme avant la venue ici de mon officier. Dans l'après-midi, je suis envoyé par ce dernier à Dieulouard où se trouve un détachement de ma section. L'itinéraire Manoncourt, Tremblecourt, Rosières est accidenté. Par endroits, la route est glissante et dangereuse. Dans un bois, même, je descends de voiture pour la pousser tant les roues patinent. Enfin, je puis rentrer sans incident plus grave.
16 janvier 1918. Royaumeix (Meurthe-et-Moselle). Il pleut encore et, avec ça, un vent très fort souffle. Malgré cela, les camions roulent. Je vais avec l'un d'eux dans une gare où je vois des soldats américains qui s'installent. L'on dit qu'ils vont prendre tout le secteur où je me trouve.
17 janvier 1918. Royaumeix (Meurthe-et-Moselle). Temps brumeux. Dans la nuit il a gelé, mais point autant qu'il ne gelait ces temps derniers. Le matin, je roule avec les camions qui prennent leur chargement à la gare de Royaumeix pour venir vers bernécourt, sur la grande route Toul - Verdun, laquelle est camouflée. Les terrains sont arides et non cultivés. L'ennemi voit cette région et les propriétaires cultivateurs la délaissent forcément. Dans la journée il dégèle et à nouveau il pleut.
18 janvier 1918. Royaumeix (Meurthe-et-Moselle). Non seulement il ne gèle plus, mais la température est douce. Quel changement ! Les conducteurs se mouillent bien un peu, car il pleut pas mal, mais du moins peuvent-ils roulet et facilement assurer le départ des camions. Ntore popote est maintenant installée là même où se trouve le bureau de la section et, le soir après le dîner, l'on joue aux cartes pour passer quelques instants. Je suis, dans la journée, bien plus occupé avec davantage des camions à faire rouler et du personnel à diriger. Aussi, cela me distrait et ma vie, en général, est plus agréable qu'en détachement.
19 janvier 1918. Royaumeix (Meurthe-et-Moselle). Il pleut et la température est douce. Je me lève chaque jour à 6h pour assurer le départ des camions à l'heure régulière. Il fait à peine jour lorsque ces derniers démarrent pour se rendre au travail. Je passe ensuite la plus grande partie de la journée au cantonnement.
20 janvier 1918. Royaumeix (Meurthe-et-Moselle). Dimanche. Jour de repos. Chacun fait la grasse matinée. Il fait un vent très violent. Nombreuses parties de cartes à la popote d'où je sors volontiers, vers le soir, pour aller faire dans la campagne une promenade hygiénique.
21 janvier 1918. Royaumeix (Meurthe-et-Moselle). Le vent qui a cessé fait place à une température douce, vraiment printanière. Le ciel est couvert, néanmoins. Je suis agréablement surpris de comparer ce temps-là à celui subi à mon arrivée à Royaumeix, aussi le service pour tous est agréable.
22 janvier 1918. Royaumeix (Meurthe-et-Moselle). Il pleut, c'était prévu